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REVUE DES DEUX MONDES.

Un gros flot de sang noir vous coulait sur la face.
Vous vous êtes levé pour venir à mon lit ;
Vous m’avez pris la main, et puis vous avez dit :
« Qu’est-ce que tu fais là ? pourquoi prends-tu ma place ? »
Alors j’ai regardé, j’étais sur un tombeau.

— Vraiment ? répondit Jacque ; eh bien ! ma chère amie,
Ton rêve est assez vrai du moins, s’il n’est pas beau,
Tu n’auras pas besoin demain d’être endormie
Pour en voir un pareil ; je me tuerai ce soir.

Marie en souriant regarda son miroir.
Mais elle y vit Rolla si pâle derrière elle,
Qu’elle en resta muette et plus pâle que lui.
Ah ! dit-elle, en tremblant, qu’avez-vous aujourd’hui ?
— Ce que j’ai ? dit Rolla, tu ne sais pas, ma belle,
Que je suis ruiné depuis hier au soir ?
C’est pour te dire adieu que je venais te voir.
Tout le monde le sait, il faut que je me tue.
— Vous avez donc joué ? — Non, je suis ruiné.

— Ruiné ? dit Marie, et comme une statue
Elle fixait à terre un grand œil étonné.
Ruiné ? ruiné ? vous n’avez pas de mère ?
Pas d’amis ? de parens ? personne sur la terre ?
Vous voulez vous tuer ? pourquoi vous tuez-vous ?

Elle se retourna sur le bord de sa couche.
Jamais son doux regard n’avait été si doux.
Deux ou trois questions flottèrent sur sa bouche ;
Mais n’osant pas les faire, elle s’en vint poser
Sa tête sur la sienne et lui prit un baiser.
Je voudrais pourtant bien te faire une demande,
Murmura-t-elle enfin ; mais je n’ai pas d’argent,
Et si tôt que j’en ai, ma mère me le prend.
Mais j’ai mon collier d’or, veux-tu que je le vende ?
Tu prendras ce qu’il vaut, et tu l’iras jouer.