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DES RÉVOLUTIONS DE LA ROYAUTÉ EN FRANCE.

seul pouvait achever l’œuvre immense qu’il avait entreprise, et le règne de Karl dura quarante-six ans.

Les héritiers de Karl firent sur une plus grande échelle le même partage qu’avaient fait les enfans de Hlode-wig, et les mêmes causes amenèrent les mêmes résultats, c’est-à-dire la création d’une nouvelle caste seigneuriale, née des cessions de terrain que les rois Carolingiens et Mere-wigs furent obligés de faire pour monter sur le trône, et se crurent ensuite obligés de continuer pour s’y maintenir. Karl, échappant à la puissance des chefs francs, prit le premier pour exergue de la monnaie que lui seul avait le droit de faire battre, Carolus gratia Dei rex ; les seigneurs français, échappant à leur tour à la domination franke, nièrent que leur principe vint de la royauté, comme Karl avait nié que son principe vînt de la cheftainerie, et deux cents ans après, ils s’arrogèrent non-seulement le droit de faire battre monnaie comme des empereurs, mais encore ils prirent pour exergue de cette monnaie, ce gratia Dei dont la royauté leur avait donné l’exemple[1].

Lorsque Hugues Capet monta sur le trône, occupé déjà avant lui par Eudes et Raoul, premiers rois français jetés au milieu des rois germains, il trouva la France territoriale divisée entre sept grands propriétaires possédant, non plus par cession et tolérance royale, à titre d’alleu ou de fiefs, mais par la grâce de Dieu. L’édifice monarchique qu’il allait élever devait donc différer, sous bien des rapports, de celui de Karl-le-Grand ou de Hlode-wig. La royauté qu’il recevait ressemblait beaucoup plus à la présidence d’une république aristocratique, qu’à la dictature d’un empire : il était le premier, mais non pas même le plus riche et le plus puissant entre ses égaux. La première chose que fit en conséquence le nouveau roi, fut de porter le nombre de ses grands vassaux à douze, d’introduire parmi eux des pairs ecclésiastiques, pour s’assurer l’appui de l’église ; puis sur le solide aplomb de ces douze puissantes colonnes qui représentaient la grande vassalité, il appuya la voûte de la monarchie nationale.

Lorsque les bienfaits que devait développer cette première ère furent accomplis, c’est-à-dire, lorsqu’une langue nouvelle et nationale comme la monarchie eut succédé à la langue de la conquête ; lorsque les croisades eurent ouvert à l’art et à la science la route de l’Orient ; lorsque la bulle d’Alexandre iii, qui déclarait que tout chrétien était libre, eut amené l’affranchissement des serfs ; lorsque enfin Philippe-le-Bel, portant la pre-

  1. En 865, Odon, fils de Raymond, donna le premier cet exemple, en prenant le titre de comte de Toulouse et de marquis de Gothie par la grâce de Dieu.