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ALDO LE RIMEUR.
ACROCERONIUS.

Faites ce qui vous convient, et ne vous gênez pas devant moi. Cependant j’aurais été flatté d’avoir votre compagnie durant ma promenade.

ALDO.

En quoi pourrais-je vous être utile ? La solitude convient mieux à vos savantes élucubrations. Je ne suis qu’un pauvre poète, peu capable de raisonner avec vous sur d’aussi graves matières.

ACROCERONIUS.

La société des poètes m’a toujours été fort agréable. Les poètes sont de très intelligens observateurs de la nature. Ils sont faibles sur les classifications, mais ils ont beaucoup de netteté dans l’observation. Ils possèdent l’appréciation juste de la couleur et de la forme, et quelquefois ils remarquent des rapports qui nous échappent ; des nuances presque insaisissables leur sont révélées par je ne sais quel sens qui nous manque. Je suis sûr que vous me feriez voir des choses dont je sais l’existence, et que pourtant je n’ai jamais pu observer à l’œil nu.

ALDO.

Les savans sont poètes aussi, n’en doutez pas ; ils n’ont pas besoin, comme nous, d’observer pour voir. Ils savent tant de choses, qu’ils peuvent peindre la nature sans la regarder, comme on fait de mémoire le portrait de sa maîtresse. Ils peuvent nous initier à plus d’un mystère dont l’art fait son profit. L’art n’est qu’un riche vêtement qui couvre les beautés nues sous l’œil de la science. Je suis fâché, mon cher maître, d’avoir vécu long-temps sous le même toit que vous sans avoir songé à profiter de votre entretien.

ACROCERONIUS.

Si vous n’êtes pas forcé absolument de vous tuer ce soir, vous pourriez venir avec moi sur la montagne de Lego. Nous observerions l’éclipse de lune, nous causerions sur toutes les choses connues ; vous pourriez être revenu, et mort avant le lever de la reine.

ALDO.

Vous avez raison. Donnez-moi votre télescope et faisons cette promenade ensemble. Vous m’apprendrez beaucoup de choses que j’ignore. Je vous interrogerai sur les amours des plantes, sur le