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hors de doute que cet étalage d’érudition a été, lorsque l’ouvrage a paru et long-temps encore après, une condition de succès non moins puissante que le sujet même du roman.

Ce roman ou plutôt cette nouvelle d’Æneas Sylvius, nous l’avons traduite en entier, et notre intention était de la joindre aux extraits qui précèdent ; mais la longueur de son ensemble et la multiplicité de détails sur les ruses des femmes et le malheur des maris, sujets bien rebattus depuis les nouvelles de Boccace, nous ont engagé à n’en donner qu’un extrait.

C’est donc une anecdote contemporaine qui en a fourni le sujet à notre auteur. La scène se passe à Sienne, lorsque l’empereur Sigismond, venant de Milan, pour aller recevoir, à Rome, la couronne impériale du pape Eugène iv, séjourna un an entier (1433) en Toscane, avec tous les guerriers qui composaient sa suite et son escorte. Le jour que Sigismond fit son entrée à Sienne, entouré de tous ses officiers, les habitans et les dames en particulier, qui aiment assez les étrangers, vinrent au-devant du prince pour lui faire honneur. Quatre dames, les plus belles et les plus nobles de la ville, furent chargées particulièrement d’aller à la rencontre de l’empereur. La plus remarquable de ces quatre Siennoises était Lucrèce, mariée à Ménélas, riche, vieux, et à qui naturellement son nom devait porter malheur. Au nombre des officiers qui caracolaient autour du vieux, mais galant monarque, on voyait Euriale, natif de Franconie, dont les yeux bleus, la chevelure blonde, l’air élégant et martial tout à la fois, firent une vive impression sur madame Lucrèce. Il est vrai que madame Lucrèce n’en fit pas une moins profonde sur M. Euriale, ce qui rendit M. Ménélas complètement malheureux. Tel est le fond du sujet. Quant aux incidens qui, comme dans toutes les nouvelles, les rendent agréables ou insipides, selon qu’ils sont bien ou mal traités, on voit d’abord Lucrèce qui combat sa passion tantôt avec force et tantôt avec une complaisante faiblesse ; puis enfin qui, ne pouvant plus y résister, fait confidence de ce qu’elle éprouve pour Euriale à un fidèle esclave, au vertueux Sosie. Elle l’engage à favoriser ses desseins criminels en le menaçant de se donner la mort, s’il refuse de l’aider. Le vieux serviteur, après avoir pillé Ovide et Virgile pour lui prouver qu’elle veut commettre un crime envers les dieux et les hommes, feint de se laisser toucher et emploie toute son adresse à ménager des entrevues dont il rend toujours le résultat infructueux. Cependant il s’établit entre Lucrèce et son amant Euriale, qui avait appris l’italien pour plaire à sa maîtresse, une correspondance où le talent naturel et la grâce propres à Æneas Sylvius reparaissent. Ces lettres d’amour sont fort jolies, et au tour vrai, naturel et passionné qu’elles ont ordinairement, on serait presque tenté de croire que notre aimable et spirituel pontife a eu les ori-