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Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 3.djvu/552

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REVUE DES DEUX MONDES.

ment en français. Il est digne de remarque que, malgré le peu de moralité qui règne dans le sujet et bien que cet opuscule renferme un bon nombre de passages grossièrement obscènes, cependant le nom d’un pape faisait une telle illusion alors, que les deux traducteurs français se sont obstinés à ne voir dans cette nouvelle qu’un exemple de vertu féminine. Jean Bouchet, entre autres, écrivain et poète français né en 1476 et mort en 1550, celui qui s’intitulait le traverseur des voies périlleuses, a fait une imitation de ce roman mêlée de prose et de vers, le tout pour offrir aux femmes de son temps la conduite d’Euriale et de Lucrèce comme le modèle de deux amans vertueux. Cette imitation, qui a perdu tout ce que la composition originale offre de plus piquant, se réduit à un plat et ennuyeux sermon que l’auteur n’a pas même relevé par le mérite du style.


Au surplus, on ne serait pas éloigné de croire que Jean Bouchet a cru entrer dans les intentions du pape Pie ii, en ôtant au petit roman d’Euriale toutes les peintures passionnées qui s’y trouvent. Æneas Sylvius, lorsqu’il fut pontife, exprima dans une lettre, qui fait partie du recueil que nous venons d’extraire, son regret d’avoir écrit cette histoire. Et ce qui est assez singulier, c’est qu’après avoir soigneusement fait insérer les amours de Lucrèce et d’Euriale parmi ses lettres, il finit par condamner cette nouvelle, qu’il eût été plus simple et plus sûr de supprimer, si, en effet, il en craignait tant l’influence sur les jeunes gens qui pourraient en faire la lecture. Mais nous laissons au lecteur le soin de coordonner et d’expliquer même, si cela l’amuse, les faits que nous prenons soin seulement de lui présenter en ordre.


Ce qui a particulièrement occupé Pie ii pendant son pontificat, ce fut les projets et les préparatifs de guerre qu’il fit contre les Turcs. La prise de Constantinople, en 1453, par Mahomet ii, entretenait la terreur dans toute la chrétienté, et son chef la partageait. Dans sa correspondance, il est souvent question des suites de ce grand événement, et assez ordinairement le pontife en parle sous le rapport politique. Mais il y a une longue lettre de lui, c’est la trois cent quatre-vingt-seizième, adressée à Mahomet ii lui-même, dans laquelle le pape Pie ii combat la religion islamique, comme quelqu’un qui la connaît fort bien. Cette lettre toute pastorale est très curieuse en ce sens que le pontife prend toutes les précautions imaginables pour prouver à Mahomet que, s’il ne reconnaît pas la supériorité de la religion de Jésus-Christ sur la sienne, il court très grand risque d’être damné. Cette lettre, qui a trente-trois pages in-folio, est fort spirituelle ; mais il est douteux que Mahomet ii l’ait lue : ce qui est certain, c’est qu’elle ne l’a pas converti, bien que Pie ii lui