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beauté. Lui et ses compagnons vendirent sans difficulté leurs boules et leurs lacets à nos officiers à raison d’une piastre chaque, monnaie qui commençait à s’effacer de leur souvenir, Vernet ne payant son monde qu’en billets échangeables, à la volonté du porteur, contre des ustensiles, des couvertures, du tabac, etc. Le plus ancien habitant de l’île était un gaucho qui y était depuis huit ans, et qui paraissait parfaitement satisfait de son sort. Il possédait, en effet, une joyeuse compagne, basanée comme lui, pour tenir sa maison en ordre, sans parler d’une marmite, d’une poêle, deux casseroles, trois assiettes, deux couteaux à manche en bois, une fourchette édentée et une vieille table boiteuse, richesses qu’il ne serait jamais parvenu à acquérir dans son pays, s’il en faut croire les voyageurs.

« Quoiqu’il existât près des maisons plusieurs jardins entourés de murs où croissaient en abondance des choux, des carottes, des laitues, etc., au milieu des orties et d’autres mauvaises herbes, on n’apercevait aucun indice de culture récente, si ce n’est un carré de pommes de terre appartenant au petit tailleur allemand ; les habitudes des gauchos sont, en effet, de telle nature, que rien ne peut les engager à travailler à la terre ; la seule occupation à laquelle ils condescendent à se livrer, est de donner la chasse avec leurs lacets et leurs boules aux bœufs sauvages, d’en enlever la peau et d’en découper la chair. Leur nourriture ne consistait donc, pendant la plus grande partie de l’année, qu’en viande qu’ils arrosaient avec ce qu’on appelle thé des îles Falkland, espèce d’infusion faite avec les feuilles d’une plante rampante qui ressemble à l’airelle, et qui est assez agréable, quoiqu’elle ait moins de parfum que le thé de la Chine. De temps en temps ils obtenaient par échange des baleiniers, quelques sacs de biscuit, un peu de sucre et d’autres articles du même genre ; mais ces objets de luxe étaient ordinairement accaparés par le gouverneur et le lieutenant-gouverneur, noms que nos matelots donnaient en riant aux deux suppléans de Vernet. Le peu de pommes de terre et de légumes qu’on a cultivés jusqu’ici étaient de première qualité ; et je ne doute nullement que l’orge et l’avoine n’y réussissent également, si on les cultivait à l’abri des vents du sud-ouest, qui sont trop violens pour que les tiges des céréales puissent leur résister. Jusqu’à cette époque, les colons ne