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REVUE DES DEUX MONDES.

« Pendant ce temps, nous nous étions rapprochés pour voir ce qui se passait, et nous arrivâmes au moment même où l’exécution allait commencer. Je ne pus souffrir que des innocens fussent punis pour une faute que j’avais commise : je m’approchai d’un des soldats qui avait le bras levé pour frapper et le fis reculer de quelques pas : en même temps, un nègre de notre équipage arracha la latte des mains de l’autre soldat et la jeta à quelque distance. Deux cents personnes étaient rassemblées en ce moment autour des deux chefs qui étaient toujours dans leurs chaises et qui paraissaient ne savoir trop que faire. Enfin, sur un mot qu’écrivit M. Gutzlaff, ils donnèrent l’ordre de relâcher les deux prisonniers, et ceux-ci décampèrent à toutes jambes.

« Les chefs quittèrent alors leurs chaises et entrèrent sous la tente en nous invitant à les suivre ; on étendit à terre des nattes qui furent recouvertes de peaux de tigres, et nous nous assîmes tous. Après quelques signes échangés de part et d’autre, Li écrivit que je lui confiasse la lettre pour le roi, et sans réfléchir, je la lui remis entre les mains. Je compris sur-le-champ que j’avais eu tort, et que le seul moyen de pénétrer dans le village, était de refuser de livrer la lettre ailleurs que là ; mais il était trop tard, et je voulus en vain réparer la faute diplomatique que j’avais commise, lorsque les chefs m’invitèrent à faire sortir de la chaloupe les présens que nous avions pour sa majesté coréenne. Je m’y refusai, sous prétexte que des présens destinés à un si grand roi ne pouvaient être offerts d’une manière aussi peu respectueuse, sous une misérable tente comme celle où nous étions. Cette observation parut les mettre dans le plus grand embarras ; ils cherchèrent à s’excuser en nous disant qu’ils avaient le plus grand respect pour notre mission et l’honorable nation à laquelle nous appartenions, mais que leurs lois leur défendaient de nous recevoir dans le village. Ils cédèrent enfin à mes instances, et nous fûmes conduits dans une maison où l’on nous servit des rafraîchissemens. »

La lettre et les présens, quoique ayant été reçus, ne furent pas envoyés au roi, ou si cela eut lieu, sa majesté refusa de les accepter. Cette dernière conjecture est la plus probable, vu le temps qui s’écoula entre leur réception par les chefs et leur restitution. Le capitaine