sont insupportables, et les formes du monde inconnues. Elle se laisse entraîner sans essayer de se retenir, et se livre avec un abandon naïf aussitôt qu’on lui a inspiré quelque confiance. Capable de supporter toutes les fatigues et tous les dangers avec la patience et le courage d’un soldat, la moindre contradiction l’exaspère ; alors sa figure, naturellement pâle, s’anime ; elle crie et bondit, menace et pleure comme un enfant ; puis, bientôt, comme un enfant encore, aussitôt qu’on a l’air de faire ce qu’elle veut, elle sourit, s’apaise et vous tend la main. Contre la nature des princes, elle est reconnaissante et n’en rougit pas ; du reste, aucune haine, aucun fiel dans l’âme, même contre ceux qui lui ont fait le plus de mal. Qui l’a vue une heure connaît son caractère, qui l’a vue un jour connaît son cœur.
Le lendemain à dix heures, le colonel d’artillerie commandant le château entra dans ma chambre ; il venait m’annoncer une nouvelle colère de Madame : elle avait une cause à peu près pareille à celle du jour précédent.
M. Guibourg, ainsi que m’en avait prévenu le général d’Erlon, avait été réintégré en prison pendant la nuit, de sorte que lorsque Madame avait demandé pourquoi il ne venait pas déjeuner, on lui avait annoncé cette nouvelle, à laquelle ma phrase de la veille aurait dû la préparer, si elle l’avait entendue. La duchesse avait crié à la trahison, et m’avait appelé Jésuite. Cette injure avait quelque chose de si curieux dans sa bouche, que j’en riais encore lorsque j’arrivai chez elle.
Elle me reçut avec la même pétulance que la veille, et presque avec les mêmes paroles.
— Ah ! c’est comme cela, monsieur ! Je ne l’aurais jamais cru, vous m’avez trompé, et indignement.
Je feignis encore l’étonnement, et lui demandai ce qu’elle avait.
— J’ai que Guibourg a été enlevé cette nuit et conduit en prison, malgré la promesse que vous m’aviez faite, que je ne serais pas séparée de mes compagnons d’infortune.
— M. le général d’Erlon n’a cru devoir comprendre par ces paroles, mes compagnons d’infortune, que ceux qui ont partagé vos fatigues et vos dangers, mademoiselle de Kersabiec et M. de Menais : aussi n’avez-vous été séparée ni de l’une ni de l’autre ; vous voyez bien, Madame, que M. le général d’Erlon, ni moi, n’avons manqué à la parole que nous avions donnée à Votre Altesse.
— Mais au moins pourquoi ne m’avoir point prévenue ?
— Je n’ai encore de ce côté aucun reproche à me faire, puisqu’en autorisant M. Guibourg à dîner hier avec vous, j’ai ajouté ces paroles : d’au-