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REVUE. — CHRONIQUE.

ministres ; nous avons encore été privés de M. Cousin ! La cause du départ de M. Cousin est au moins singulière. Un de nos écrivains les plus spirituels, M. Saint-Marc Girardin, voulant compléter les idées qu’il a émises sur l’Allemagne intellectuelle, dans les leçons qu’il professe à la Faculté des lettres, s’adressa au ministre, pour être envoyé en Saxe et en Prusse, avec la mission d’examiner l’état de l’enseignement. Une somme de 5,000 fr., destinée aux frais de cette inspection, venait d’être allouée à M. Girardin, ses notes étaient déjà préparées, ses malles faites, lorsque M. Cousin, l’œil enflammé et la voix altérée, vint déclarer au ministre qu’à lui seul appartient le droit d’inspecter les écoles allemandes, que l’instruction publique du nord lui est inféodée, que c’est son bien à lui, son privilège, sa propriété sur laquelle il lui revient un revenu de 5,000 fr. par an, attendu que le pauvre homme n’a guère que 30,000 fr. de places, et pour conclusion le céleste philosophe demanda qu’on lui remît les frais de voyage préparés pour M. Girardin. Le ministre, qui n’a rien à refuser à M. Cousin, obtempéra, quoique à regret, à sa demande, et pour consoler M. Saint-Marc Girardin, lui remit la somme qu’on lui avait promise, mais en la prenant sur le fonds d’encouragement aux travaux agricoles. Ainsi M. Girardin sera forcé, s’il veut légitimement gagner son argent, d’inspecter non pas les universités, mais les champs et les bestiaux de la Saxe ; et, au lieu d’écrire sur l’esthétique et les études classiques, il lui faudra charger son portefeuille d’observations sur les graines en couches, les pommes de terre et les qualités de froment. Quant à M. Cousin, il nous gratifiera sans doute d’un rapport aussi sec et aussi nul que celui qu’il publia, il y a deux ans.

M. Fontaine, le maçon du roi, a agi envers M. Chenavard, le plus distingué, sans contredit, de nos peintres d’ornemens, tout comme M. Cousin a agi à l’égard de M. Saint-Marc Girardin. Il s’agissait de la décoration du théâtre Français. Les chefs de division, le ministre, tout le monde avait approuvé les dessins de M. Chenavard, et ces dessins étaient charmans en effet. Ils promettaient une décoration digne d’un meilleur théâtre que le théâtre Français, et on reconnaissait qu’ils étaient conçus sur un plan noble et ingénieux. D’après les dessins de M. Chenavard, la décoration de la salle Richelieu eût reproduit l’histoire complète du théâtre. Le plafond était divisé en trois parties où dominaient les figures colossales d’Eschyle, d’Euripide et de Sophocle. Aux pieds de ces trois personnages gigantesques, on voyait une foule pressée qui déposait des couronnes sur l’estrade où ils étaient placés. C’étaient leurs contemporains et leurs rivaux, plus ou moins illustres, mais tous dépassés par eux, Phrinicus, Yon, Agathon, Asclépiades, Denis, Phyloxènes, etc. Dans l’autre partie du plafond,