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ce critique novateur, ce romancier, cet orateur, cet inépuisable publiciste, cette européenne autorité, devient pour vous un ami qui dépose dans votre oreille et dans votre cœur des paroles graves et dernières sur ce fardeau de l’histoire et de la vie qu’il abandonne aux générations présentes, pour entrer avant elles dans l’infini, cette région qui nous appartient, puisque nous l’espérons toujours.


Au reste, c’était bien à la méditation des choses divines, dans leur passé et dans leur avenir, qu’il appartenait d’occuper les dernières pensées de ce grand homme, et l’époque de l’humanité qu’il avait choisie, pour y arrêter ses regards, méritait bien l’attention de sa curiosité pénétrante. Rien, dans l’histoire, n’est plus instructif à étudier que la situation morale de l’humanité depuis Auguste jusqu’à Constantin.

Communément on estime que la société antique s’abandonnait elle-même, pour ainsi parler ; qu’elle avait perdu le souci de son avenir, et toute espérance de voir clair dans sa destinée et dans les plus sérieux problèmes de l’humanité ; on se représente, pour ainsi dire, l’intelligence de l’antiquité mourant à Actium avec la liberté romaine, et disant de la science ce qu’à Philippes Brutus avait dit de la vertu. Ces représentations du passé sont fausses. D’abord, depuis Socrate, les croyances antiques étaient travaillées par une révolution interne ; or, les révolutions sont l’exaltation de la vie et non pas des signes de mort. Quand l’ami de Criton eut, en mourant, recommandé de sacrifier un coq à Esculape, l’idéalisme et le rationalisme prirent possession de l’esprit humain par Platon et Aristote. Dès-lors, l’esprit humain eut soif d’autres croyances. Il ne faut pas se le représenter comme éteint, mais comme altéré ; non comme dégoûté de l’idéal, du symbolique et du vrai, mais comme aspirant à d’autres symboles et à de nouvelles vérités. D’où vient qu’à Rome Ennius traduit Evehmère ? Cicéron ne s’abreuve-t-il pas de toute la philosophie grecque, en y mêlant une morale plus humaine encore ? Mais je veux avancer dans le temps, et au moment même des premiers commencemens du christianisme, les plus beaux esprits de l’antiquité font un effort immense pour conquérir un spiritualisme ardent qui les vivifie. Perse, ce poète