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REVUE. — CHRONIQUE.

déjà occupé par un homme spécial ou spirituel, est encore flanqué de quelques-unes de ces intelligences, moins brillantes, mais solides, dont on pourrait formuler l’étendue d’après leurs comptes à la Banque de France et au Trésor. Pour notre part, nous sommes loin de contester le mérite de ce ministère adjoint, et nous partageons l’opinion d’un de nos hommes de finance les plus distingués, qui se récriait fort contre les gens qui pensent qu’on peut faire sa fortune sans esprit. Rien de plus spirituel qu’un banquier riche ; et, pour n’en citer qu’un seul, M. Rothschild lançait, il y a peu de temps, contre la presse une saillie plus ingénieuse que toutes celles qui lui ont été décochées par le Miroir et les feuilles légères. Le capitaliste des rois niait, devant un homme du métier, la puissance et l’influence des journaux : « Prenez garde ! dit celui-ci ; les journaux font l’effet de la goutte d’eau, qui, lentement, perce la pierre. — Sans doute, répondit le banquier ; mais que la pierre se meuve un peu seulement et s’agite, la goutte n’y fera pas la plus petite brèche. Eh bien ! le gouvernement, c’est la pierre. » Ce mot de M. Rothschild est au moins aussi spirituel que tous ceux de son collègue M. Thiers, et il leur ressemble autant plus, qu’il n’est pas vrai.

Les affaires de bourse nous ont fait perdre de vue l’affaire d’Espagne. Après de mûres combinaisons, M. Mignet, directeur des archives du ministère des affaires étrangères, a été expédié à Madrid. M. Mignet est l’ami d’enfance et le compagnon de M. Thiers. Venus à Paris ensemble, pauvres et laborieux, ils furent admis, grace à la protection de Manuel et de M. Laffitte, M. Thiers au nombre des rédacteurs du Constitutionnel, et M. Mignet parmi ceux du Courrier Français. En même temps, ils se mirent tous deux à écrire, chacun de son côté, une histoire de la révolution française. L’histoire de M. Mignet est encore plus radicale que celle de M. Thiers ; et M. Mignet a eu beau modifier ses doctrines depuis que l’habit de conseiller d’état cache l’ancien rédacteur du Courrier Français, ses principes écrits, ceux qui restent, sont seuls connus dans les pays étrangers. M. Mignet aura donc beaucoup à faire pour vaincre la répugnance du corps diplomatique à son égard. Il trouvera à Madrid M. d’Oubril, cet ambassadeur de Russie dont l’habileté causait tant d’ombrage à Napoléon, qu’il exigea son rappel d’Espagne ; M. Liebermann, chargé d’affaires de Prusse, Isréalite adroit que son talent a porté à ce poste, en dépit des préjugés qui repoussent sa race des hautes affaires dans toute l’Allemagne ; M. Brunetti, dont M. de Metternich vante beaucoup la finesse et la dextérité ; et, enfin, M. Villiers, ambassadeur d’Angleterre, qui, bien que notre allié, sera l’obstacle le plus grand à l’accomplissement de la mission de M. Mignet.