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LA KOUTOUDJI.

le noyer ainsi dans l’océan de mes grâces, Nuh-Effendi, j’ai choisi votre neveu Baltadji-Méhémet. Baltadji-Méhémet sera le mari de la Koutoudji. Allez lui annoncer qu’il ait à attendre demain l’Imam de votre quartier pour signer devant lui le contrat. Il recevra le matin même sa pelisse d’honneur et le titre de petit écuyer de Sa Hautesse. Sortez maintenant, Nuh-Effendi, et songez que si ce mariage venait à manquer, votre tête me servirait d’otage. Le médecin se prosterna de nouveau, et porta à ses lèvres le bas du féredjé[1] de sa souveraine.

Il trouva dans l’antichambre le Capou-agha[2] du sérail, qui l’obligea de s’asseoir auprès de lui sur un tapis, et qui lui fit apporter un tchibouk d’honneur, la confiture et le café d’usage, ce respectable fonctionnaire lui répéta les menaces de la Sultane, menaces qui lui annonçaient de funestes conséquences, si le mariage concerté venait à éprouver la moindre entrave. Il faisait nuit quand le médecin de la Validé quitta le Capou-agha.

Il s’achemina tout pensif à travers les bois de cyprès qui font partie des jardins du sérail, et il réfléchissait en lui-même à la bizarrerie de cette aventure. Baltadji-Méhémet, l’ivrogne impérial, le fils indocile de sa sœur Fatima, allait donc devenir un homme important et voir s’abattre sur sa tête la pluie des grâces de la Cour. Quelle cause inconnue pouvait lui avoir mérité cette faveur ? Et quelle était cette Koutoudji, cette fille aérienne du jardin de la beauté, que la destinée envoyait dans sa vie d’une façon aussi singulière.

Cette fille portait-elle en effet dans son sein le fruit d’un amour étranger, et Baltadji-Méhémet consentirait-il à se reconnaître le père de cet enfant tombé du ciel ? Il y allait de la tête de son oncle. Méhémet ne pouvait refuser, quelque extraordinaire que pût lui paraître la clause qu’on lui imposait.

Telles étaient les réflexions de Nuh-Effendi, lorsque sa promenade solitaire fut interrompue par un bruit de voix qui s’avançait vers le massif de cyprès qu’il côtoyait en ce moment. Il distingua la voix d’un homme et celle d’une femme, et il n’eut que le temps

  1. Le féredjé est le manteau des Turcs.
  2. Le chef des eunuques blancs.