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LA KOUTOUDJI.

fruits venus ensemble sur l’arbre de la vie ; on ne peut rompre la branche sans que nous tombions tous deux.

Et des baisers sans fin succédaient aux paroles.

Ils se renouvelèrent si long-temps, que les rayons de la lune finirent par plonger horizontalement dans les profondeurs du bois de cyprès. Nuh-Effendi parut alors aux regards effrayés des amans.

Le jeune homme se leva, et mit le khandjiar à la main. Le médecin s’enfuit de toute la légèreté de ses jambes, criant Allah ! et miséricorde ! si bien que le Capou-agha, que son devoir amenait sans doute de ce côté, se précipita entre les deux antagonistes, avec son bâton blanc. Pendant ce temps, la jeune fille aussi fuyait. Sur son visage épouvanté, Nuh-Effendi reconnut les traits de la favorite de la Sultane-mère, la belle Koutoudji, fiancée à son neveu Méhémet.

— Emparez-vous de cet homme, cria-t-il au Capou-agha !

Le jeune homme, sans faire mine de fuir ni de se troubler le moins du monde, le menaça de nouveau de son poignard, et lui jeta ces paroles d’un air de mépris et d’autorité :

— Souviens-toi bien, malheureux, que si cet infâme mariage s’achève, toi et ton ivrogne de neveu, vous mourrez !

Et puis il s’éloigna tranquillement, sans que le chef des eunuques apportât le moindre obstacle à sa fuite.

Nuh-Effendi ne pouvait comprendre comment un tel outrage commis dans les jardins mêmes du sérail, n’avait pas été vengé sur l’heure par la mort du coupable.

— Mon ami, lui dit le Capou-agha, sortez au plus vite et regagnez votre logis. Surtout, si vous voulez conserver votre tête, n’ouvrez jamais la bouche sur ce qui vient de se passer. Vous possédez un secret qui peut vous tuer. Songez à vous taire, et exécutez fidèlement le devoir que vous dictera votre conscience. Adieu ; que le Prophète retienne la bride de votre langue.

Nuh-Effendi, plein d’étonnement de tout ce qui venait de se passer, se rendit sans tarder à l’échelle de Baluk-Bazar, où il prit place dans une barque qui s’en retournait à Scutari.

Quand il entra dans la chambre de Baltadji-Méhémet, il le trouva sans caouk et sans turban, roulant sur le plancher, et poussant les plus bizarres exclamations. Sans s’effrayer de son état, le médecin