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LA KOUTOUDJI.

Ils y trouvèrent l’Imam de la mosquée, assisté de ses deux muezzinns, qui devaient servir de témoins au contrat. Bientôt arriva un officier du sérail suivi d’une députation des employés aux écuries de Sa Hautesse, qui félicitèrent Méhémet sur sa nouvelle dignité. On le revêtit d’une pelisse d’honneur, et on introduisit dans la cour de la maison un magnifique cheval, richement caparaçonné, qui faisait retentir le pavé du battement de ses pieds. Méhémet regarda de travers le noble animal en poussant un gros soupir ; puis, comme on vint lui annoncer que sa fiancée était en chemin pour venir le trouver, il alla dans la cour afin de monter le cheval qui devait le conduire au-devant de la Koutoudji.

Un jeune janissaire lui présentait humblement l’étrier, mais les singuliers regards que ce jeune homme lui lançait intimidèrent Méhémet, qui se retourna plusieurs fois du côté de son oncle, pour lui demander un signe d’encouragement.

Le médecin, les yeux fixés sur le janissaire, était devenu tout à coup plus pâle et plus tremblant que son neveu ; ses gros yeux gris roulaient circulairement dans sa tête, et ses lèvres s’agitaient sans laisser sortir aucun son. Baltadji-Méhémet, voyant toute cette foule qui le regardait, recommanda son ame à Dieu, et s’éleva bravement sur l’étrier gauche du coursier impatient ; mais à l’instant où il allait passer sa jambe droite par-dessus la croupe du noble animal, le janissaire lâcha les sangles qui retenaient la selle, et poussa rudement le nouveau dignitaire, qui alla donner de la tête sur le pavé. Un cri de stupéfaction et d’effroi partit du sein de la multitude, et au même instant un aigre éclat de rire retentit dans l’oreille du pauvre Baltadji. Le robuste genou du janissaire pesa sur sa poitrine, et une voix lui jeta tout bas ces paroles : Je suis le jeune homme que ton oncle a vu cette nuit dans le bois de cyprès du sérail ; je te défends de pousser l’audace jusqu’à épouser une femme que j’aime. Je te jure, sur la tête de mon père, que si tu persistes, tu mourras de ma main !

Quand Méhémet se retrouva sur la selle, il chercha vainement des yeux l’insolent jeune homme qui lui avait ainsi parlé. Le janissaire avait disparu ; mais son visage, enflammé du feu de la colère, brillait comme un fantôme devant l’imagination frappée de l’écuyer du sultan. Il y avait tant de hauteur et de majesté dans les regards