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AHASVÉRUS.

d’une fée. Le rayon du soleil les salue dès qu’il luit ; l’épervier fait son nid sur leurs diadèmes ; le lierre leur refait leur manteau chaque automne. Jour et nuit, depuis mille ans, ils tiennent leurs sceptres levés sur les frimas et sur les orages entassés qui s’agenouillent à leurs pieds.

vi.

Écoutez ! écoutez ! sans mentir, je vais vous dire mon secret pour ne pas crouler. Les nombres me sont sacrés : sur leur harmonie je m’appuie sans peur. Mes deux tours et ma nef font le nombre trois et la Trinité. Mes sept chapelles, liées à mon côté, sont mes sept mystères, qui me serrent les flancs : ah ! que leur ombre est noire, et muette, et profonde ! Mes douze colonnes dans le chœur, de pierre d’Afrique, sont mes douze apôtres, qui m’aident à porter ma croix ; et moi, je suis un grand chiffre lapidaire que l’Éternité trace, de sa main ridée, sur sa muraille, pour compter son âge.

vii.

Courage, mes saints, mes dragons, mes vierges incrustées dans mes piliers. Vous m’avez répondu dans la poussière du caveau, dans la niche de la nef, dans le creux de la cloche. Vos voix grossissent, mes portes hurlent, mes tours résonnent comme l’ouragan ; mes colonnes et mes colonnettes vibrent comme la corde d’une viole.

viii.

Les montagnes à pic n’ont point de voix pour dire leurs secrets ; les rochers n’en ont point dans leurs grottes, ni les forêts de sapin sur leurs cimes qui grisonnent. Moi, je parle pour eux ; de mon sommet, j’écoute nuit et jour leurs génies égarés, leurs esprits muets pour leur prêter ma voix d’airain, et pour rouler dans le nuage d’hiver leur âme paresseuse sur mes paroles bondissantes et sur mes chants aux roues de bronze.

ix.

Quand les jeunes ouvriers avec leurs truelles furent montés en chantant jusqu’au pied de ma tour, ils dirent au maître : Maître, aurons-nous bientôt fini ? l’ouvrage est long, la vie est courte. Le maître ne répondit rien. Quand les jeunes ouvriers devenus hommes furent montés avec leurs truelles jusqu’à la fenêtre de ma tour, ils