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Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 4.djvu/295

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LA KOUTOUDJI.

odieuses caresses, ne suffira pas à ma vengeance ; je ferai déchirer son corps en petits morceaux, et je les disperserai aux quatre coins de l’empire, afin que l’ange des tombeaux ne puisse les retrouver au jugement dernier. Telle est ma volonté, elle restera immuable comme mon amour pour toi.

Baltadji-Méhémet pensa mourir sur la place en entendant ces cruelles paroles, après lesquelles les voix s’éteignirent, et tout rentra dans le silence et dans l’obscurité.

Il se prit à pleurer amèrement en pensant au sort qui l’attendait ; et dès ce jour, il ne lui fut plus possible de toucher sans frémir la main de cette belle épouse qui, sans motifs comme sans pitié, se plaisait à le perdre par d’aussi étranges calomnies.

Cependant la Validé-Sultane le faisait complimenter chaque jour, ainsi que son oncle, pour avoir ponctuellement exécuté ses ordres ; et chaque jour aussi Nuh-Effendi recommandait à son neveu d’observer le plus profond silence sur les choses mystérieuses qui se passaient chaque soir entre sa femme et lui.

Marié ainsi à l’ombre d’une femme, Méhémet, envié de tous les jeunes gens de son quartier, était le plus malheureux de tous les fidèles Croyans. Il lui prit plusieurs fois envie de se tuer, pour échapper à ses craintes continuelles ; mais la religion l’arrêta. Il se décida enfin à aller se jeter aux pieds du sultan sur le chemin qu’il devait traverser le vendredi suivant pour se rendre à la mosquée.

Mais l’insurrection de l’année 1115 de l’hégire advint sur ces entrefaites ; sultan Moustapha vint à être déposé par le peuple ; le schah-zadé Achmet iii fut appelé au sublime trône des Osmanlis. Tous les habitans de Stamboul se félicitaient de cet avènement du frère de Moustapha, jeune homme aimable et charmant, qui allait faire pleuvoir sur la capitale de l’empire la rosée de ses grâces.

Plus que tout autre, Méhémet se sentit pénétré de joie en apprenant cette nouvelle qui lui permettait de tout espérer d’un jeune monarque, vanté d’avance pour l’aménité de son caractère et surtout pour l’excessive tendresse de son cœur.

Le saint jour du vendredi arriva ; le nouveau sultan devait aller ce jour-là entendre la prière à la mosquée de Suleyman-le-Grand. La charge d’écuyer, dont Méhémet possédait le titre, lui permettait d’approcher la personne auguste de son souverain. Il se revêtit