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tous les divers développemens d’un amour vrai. Puis elle présente encore des contrastes pittoresques ; le tartan bariolé des montagnards est mis en opposition avec la modeste jaquette grise des hommes de la plaine, et l’héroïsme demi-barbare des premiers, avec la politesse généreuse des seconds. La scène qui retrace les aventures des Fitz-James et de Roderic Dhu peut être mise tout entière, et pour le caractère, pour la vivacité et la force, à côté des plus beaux morceaux de poésie connus. Dans le poème qu’il publia ensuite, Walter Scott franchit les limites de son pays, et fait une incursion en Angleterre. Rokeby appartient à l’histoire de la grande guerre civile, et les scènes qui la représentent et celles où apparaissent les personnages qui y prennent part, sont également poétiques et intéressantes. Rokeby est bien différent des autres compositions en vers de Walter Scott, et se rapproche plus qu’elles de ses grands romans en prose. Il y a ici un genre de beauté calme, réfléchi, et les caractères sont réels, non idéalisés ; mais on n’y trouve en revanche ni la hardiesse ni la pompe pittoresque de Marmion et de la Dame du lac. Cependant Bertram Risingham et les ménestrels proscrits me semblent avoir un caractère plus original que les chefs montagnards, et l’on ne peut nier que les paysages retracés dans Rokeby n’aient toute la grace et toute la moelleuse délicatesse des scènes du midi.

En composant ce poème, l’imagination de Walter Scott vit briller la première idée qui lui inspira le Lord des Îles. Ce dernier poème causa au public un complet désappointement ; il ne se vendit pas, et les critiques le traitèrent avec sévérité. Il serait assez difficile cependant de dire en quoi il est inférieur aux ouvrages précédens. Il y a là une histoire nationale d’un haut intérêt, des aventures de mer, et des incidens capables de nous émouvoir. L’esprit est sans cesse tenu en alerte pour épier les mouvemens des princes, des comtes et des ladies, dont dépend le sort d’un royaume, et l’ame s’abandonne à ce double intérêt que nous ne pouvons nous empêcher de prendre à la bravoure et à la beauté. On peut remarquer encore dans ce poème toute la chaleur, toute la vivacité de style, toute la dignité héroïque des caractères qui nous frappent dans ses prédécesseurs. Mais Walter Scott a lui-même expliqué la cause du peu de succès qu’il obtint dans cette circonstance : «  Je suis, dit-il, bien convaincu que si un titre populaire, ou si l’on veut attrayant, est avantageux au libraire, il présente des chances défavorables pour l’auteur. Choisissez un sujet d’une popularité reconnue, vous n’avez plus le privilège d’exciter vous-même l’enthousiasme du public ; cet enthousiasme est déjà éveillé, et fermente avec plus de force peut-être que celui du poète même. »