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l’amour d’une reine, car la reine saura bien le défendre. Mais une orpheline a besoin d’un bras qui la protége ; et la lâcheté pour se révéler n’attend pas le danger : à peine est-elle sûre d’une affection conquise, qu’elle se confesse et s’explique, jusqu’au jour où elle se justifie et se proclame comme une sagesse souveraine.

Puisqu’il n’a pas le courage d’avouer son amour pour Jeanne, il devrait avoir au moins la prudence de sa lâcheté, et se jeter aux genoux de la reine pour lui jurer une éternelle affection.

Le caractère et la conduite de Jeanne Talbot ne sont pas moins improbables et moins étranges que le caractère de Marie et de Fabiano. Je lui pardonne de grand cœur de se livrer à un misérable : les ames les plus excellentes peuvent une fois se tromper, se perdre aveuglément. Mais la chute même qu’elles ont faite, si profonde qu’elle soit, ne les flétrit pas sans retour. Elles peuvent s’obstiner dans l’erreur, mais non pas mentir.

C’est pourquoi il me semble que si Jeanne Talbot doit un jour mépriser Fabiano, et rendre à Gilbert l’amour qu’elle lui a retiré, elle doit respecter son premier amant au point de ne pas l’abuser. Elle n’a pas besoin des interpellations de la reine pour confesser sa nouvelle passion. Pour ma part, je ne conçois pas la conciliation du mensonge avec une estime réelle.

Au contraire, en supposant à Jeanne Talbot assez de franchise et de hardiesse pour dire à Gilbert : « Je ne suis plus digne de votre amour ; je me suis donnée à un autre ; oubliez-moi, ou si vous n’espérez pas que je puisse être heureuse dans ce nouvel engagement, priez Dieu pour qu’il m’éclaire et me ramène à vous, priez-le pour qu’il nous réunisse dans une mutuelle et inaltérable affection. » le pardon de Gilbert, inexplicable autrement, devient une chose toute simple.

Et comment comprendre que Jeanne, en apprenant l’amour de Fabiano pour la reine, ne revienne pas tout à coup au souvenir de Gilbert qui ne la trompait pas ? Comment comprendre qu’elle ne fasse pas tout ce qui est en elle pour sauver sa tête et reconquérir un amour si précieux et si pur ? Comment n’est-elle pas saisie de honte et d’admiration tout à la fois, en voyant les conditions terribles auxquelles la reine met la vengeance de Gilbert, et qu’il ne craint pas d’accepter ? Où est la femme qui ne préfère