Le rédacteur d’un journal ministériel a essuyé une disgrace un peu fâcheuse. Voulant s’avancer dans les bonnes graces de son beau-père, honnête médecin d’une petite ville de Picardie, il avait sollicité la croix pour ce digne homme, et à son insu. C’était une surprise qu’il voulait lui ménager pour le jour de sa fête, et en effet ce jour-là, le docteur trouva un brevet, un ruban rouge et une croix sous sa serviette. La joie fut grande au logis du médecin, homme rangé, contribuable exact, électeur ponctuel, qui avait l’espoir de devenir prochainement maire de la ville ou du moins conseiller municipal. Cette croix, survenue si à propos, ne pouvait qu’ajouter à ses espérances. Les félicitations durèrent tout le soir, et l’on se coucha gaiement, en se livrant à des songes dorés. Tout à coup, au milieu d’un rêve, où il se sentait doucement ravi aux cieux, sur une écharpe municipale, le docteur fut réveillé par un horrible vacarme, par un de ces charivaris qui signalent, dans une cité paisible, la présence de M. Thiers ou de M. Viennet. Son nom, joyeusement salué, ne lui permit pas de douter qu’il ne fût l’objet de cette fête qui se prolongea jusqu’au soleil, recommença le lendemain, le surlendemain encore, et le priva de sommeil pendant plusieurs jours. Quel supplice et quel affront pour un homme honoré, modeste et tranquille !
Cependant le gendre du docteur dormait à Paris fort tranquillement, lorsqu’il reçut une lettre de son beau-père. Il s’attendait, comme de raison, à de vifs remercîmens du nouveau chevalier de la Légion-d’Honneur ; mais il n’y trouva que ces mots : « Je vous défends de me revoir, et je vous déshérite. » — On ne sait si le ministre consentira à reprendre sa croix.