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Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 4.djvu/503

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LITTÉRATURE ANGLAISE.

ces prodiges de précocité dont le biographe est embarrassé d’expliquer le développement intellectuel. Elle avait douze ans lorsqu’elle publia ses Contes sans Art (Artless Tales).

L’une et l’autre sont sœurs de sir Robert Ker Porter. Comme lui, elles excellent dans l’art de décrire, de peindre au moyen des mots, de distribuer l’ombre et la lumière, de créer un panorama brillant et vaste. Leurs œuvres, semées de traits pathétiques et gracieux, prouvent cependant plus de connaissance du monde extérieur que du monde intérieur, plus d’habileté à reproduire la forme visible que les émotions secrètes. Leur vie a été pure et honorée. Anne-Marie est morte le 21 septembre 1832 ; Jeanne, dont le talent est plus remarquable que celui de sa sœur, lui a survécu.


Scott. — Walter Scott, a-t-on dit, n’apercevait tous les objets qu’à travers un prisme poétique[1]. D’un terrain infertile et désolé il a fait le parc admirable et pittoresque d’Abbotsford. Le château créé par lui, cette maison si commode et si bizarre, n’est, comme s’exprime un voyageur français, qu’un roman en pierre de taille.

On peut en dire autant de ses romans. Scott a fait subir à tout ce qu’il a touché une poétique métamorphose. La geôle d’Édimbourg lui a inspiré des pages qui vivront autant que nos collines. La poussière stérile et sèche

  1. Il est inutile de rien ajouter à cette brillante appréciation du talent de Walter Scott. Je ne sais cependant si, comme l’affirme M. Cunningham, l’imagination est le caractère définitif et spécial de cette puissante intelligence. On trouve bien plus de souvenir et d’observation chez lui que d’imagination et de caprice. Il vous ouvre son théâtre et fait passer à vos yeux, une foule variée, brillante, sous tous les costumes, appartenant à toutes les subdivisions de l’humanité. Comme Shakspeare, il se montre fort peu ; il laisse rarement apercevoir l’auteur ; il abdique l’égoïsme du poète ; il offre un immense miroir à l’homme du passé et du présent, au roi, au mendiant, au voleur, au guerrier. D’autres écrivains, qui n’ont pas cette puissance de vérité, Maturin, Lewis, lord Byron, n’aperçoivent réellement les objets qu’à travers un prisme poétique. Ce sont eux qui suspendent entre le spectateur et le monde un voile dont la transparence métamorphose toutes choses. Vous ne découvrez le paysage et les figures qui l’animent qu’à travers un vitrage diaphane et coloré. La teinte sépulcrale et livide de Maturin, l’immense clair-de-lune de mistriss Radcliffe, la fumée de bierre et de punch que l’Allemand Hoffmann soulève devant vous, la couleur sombre et ardente que lord Byron répand sur ses drames, appartiennent au génie propre de ces écrivains, non à la vérité réelle et vivante. Le monde que nous habitons, ils l’ont transformé. Walter Scott et Shakspeare se sont contentés de le reproduire.