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plus sûrement, il voulut en constater d’abord l’efficacité de la manière la plus authentique ; et ainsi il commença une série d’expériences auxquelles il appela, comme témoins, nombre de personnes recommandables.

La première expérience eut lieu le 30 mai 1788, à Mariquita, dans la maison de Mutis, en présence de plus de trente personnes. Là se trouvaient don Diego Ugaldo, depuis chanoine à Cordoue en Espagne ; don Anselme Alvarez, conservateur de la bibliothèque de Santa-Fé ; don Pedro Vargas, corrégidor de Zipaquira ; plusieurs savans et artistes attachés à la royale expédition botanique ; enfin quelques curieux, parmi lesquels je nommerai seulement celui dont je tiens la plupart de ces détails, don Domingo Conde. Bientôt arriva le nègre Pio, portant sur lui un serpent des plus venimeux qu’il commença à manier, à tourner entre ses mains, et même à secouer rudement, sans que l’animal montrât ni crainte ni colère. Le corrégidor Vargas, soupçonnant quelque supercherie, et croyant que le serpent avait eu les dents arrachées, l’excita du coin du manteau. Le reptile se redressa aussitôt, et se jeta avec fureur sur le morceau de drap dans lequel il enfonça des crochets longs de plus de dix lignes ; mais l’esclave le frappant de la main, comme pour le punir de sa pétulance, il redevint aussi soumis, aussi doux qu’auparavant. Vargas alors, ne doutant plus de l’efficacité de la plante de guaco, voulut subir sur-le-champ l’opération par laquelle le nègre s’était rendu invulnérable, et son exemple fut suivi par plusieurs personnes présentes, notamment par don Francisco Zavaraïn, secrétaire de Mutis, et par Matis, peintre d’histoire naturelle. Ce dernier vivait encore lorsque j’habitais Santa-Fé, et j’ai eu occasion de parler avec lui plusieurs fois de cette fameuse expérience.

Les nouveaux initiés voulurent faire immédiatement l’essai de leur pouvoir, et ils commencèrent à toucher le serpent, qui d’abord fut aussi respectueux envers eux qu’envers le nègre ; mais bientôt ils le secouèrent de manière à l’irriter, et enfin Matis fut mordu au doigt median de la main droite assez profondément pour que le sang ruisselât de la blessure. Le cher homme ne m’a pas avoué combien il eut peur alors ; mais don Domingo Conde m’a dit qu’il n’avait vu de sa vie un homme si effrayé. La consternation, du reste,