à demander un ouvrage sérieux et poétique à la fable populaire du Juif errant. Avant la chanson de Béranger sur ce vieux conte, cette légende n’avait inspiré chez nous que quelques romans critiques qui n’ont obtenu aucun succès. En Allemagne, au contraire, pays de foi, de récits merveilleux, d’histoires surnaturelles, ce sujet a tenté le génie des plus grands poètes. Aucun d’eux, il est vrai, n’a pu terminer l’œuvre ; mais plusieurs, comme nous le verrons, l’ont ébauchée. En France, et à Paris surtout, où l’on est assez peu soucieux de la littérature ambulante que les porte-balles de nos campagnes colportent dans les hameaux, c’est à peine si les plus curieux d’entre nous ont jamais lu l’Admirable histoire du Juif errant, qui, depuis l’an 33 jusqu’à l’heure présente, ne fait que marcher. Tel est pourtant le titre d’un opuscule de quinze à vingt pages, imprimé sur papier gris et réimprimé tous les ans, suivi d’une complainte, et précédé d’une image gravée sur bois, petit livret qui peut bien ne pas se rencontrer dans nos bibliothèques savantes, mais qui ne manque, croyez-moi, dans l’armoire en noyer d’aucun villageois. L’étrange aventure qu’il contient n’est rapportée ni dans les évangiles approuvés, ni dans les évangiles apocryphes, ni dans les Actes des Apôtres, ni dans les œuvres d’aucun des anciens pères de l’Église. Quelle est donc l’origine et la date de cette légende ? Je la crois, comme celle du voile de sainte Véronique, et, généralement, comme toutes les histoires relatives à la Passion, née vers le ive siècle, à Constantinople, et contemporaine de sainte Hélène et de la découverte de la vraie croix. Mais ces traditions sont restées long-temps orales. Marianus Scotus, au xie siècle, est le premier écrivain qui donne le récit du voile de sainte Véronique, d’après un certain Methodius, qui le lui avait communiqué[1]. Au xiiie siècle, Matthieu Paris, moine de Saint-Alban, a le premier, je crois, mentionné dans sa grande histoire d’Angleterre, une des versions relatives au Juif errant : je dis une, car il existe de ce récit au moins deux versions fort différentes. Celle que nous a conservée Matthieu Paris avait cours en Orient. La voici, un peu abrégée.
« Cette année (1229), un archevêque de la Grande Arménie
- ↑ Voyez Zedlerr, Universal Lexicon.