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DE LA NATURE DU GÉNIE POÉTIQUE.

le symbole, la dispersion et la prédication des apôtres, et cela sine risu et omni levitate verborum. Enfin, le digne archevêque, ajoute Matthieu Paris, narrationem sigillo rationis confirmavit, de sorte qu’il n’y a pas à douter de la moindre partie de cette relation ; le tout étant d’ailleurs attesté par un brave chevalier, Richard d’Argenton[1], qui avait visité l’Orient, et qui mourut ensuite évêque[2]. »

Ce récit diffère, sur plusieurs points, de la tradition occidentale. L’archevêque d’Arménie nomme le juif coupable Cartaphilus, et le suppose portier du prétoire, tandis que notre légende le nomme Ahasvérus, et après son baptême Buttadæus, et le fait cordonnier à Jérusalem. Je crois cette tradition beaucoup plus ancienne en Europe que celle rapportée par Matthieu Paris, qui n’a, je pense, enregistré in extenso la narration de l’archevêque d’Arménie, que parce qu’elle différait du récit reçu dans l’église latine. Au reste, je ne vois nulle part le nom d’Ahasvérus mentionné avant l’année 1547. Voici peut-être le plus ancien document relatif à ce personnage : c’est une lettre de Chrysostomus Dudulæus de Westphalie, écrite en 1618, à un de ses amis qui habitait Reffel[3] :

« En l’année 1547, M. Paulus de Eitzen, docteur de la Sainte-Écriture, et évêque de Schlesswig, a vu dans une église de Hambourg, un dimanche, en hiver, très mal chaussé et très mal vêtu, le vieux juif qui erre dans le monde depuis la Passion du Christ. Il lui parut d’une taille élevée, d’environ cinquante ans, ayant les cheveux longs, et pendans sur les épaules. Il assistait au sermon, et l’écoutait avec beaucoup de piété. En sortant de l’église, le docteur entra en conversation avec lui ; le juif lui dit avec modestie qu’il était né à Jérusalem, où il exerçait l’état de cordonnier, qu’il se nommait Ahasvérus, et avait assisté au crucifiement de Jésus-Christ. Ensuite il parla des apôtres. Puis, il ajouta que le Christ ayant voulu se reposer du poids de sa croix en s’appuyant contre

  1. Richardus de Argentomio. Peut-être d’Argentan.
  2. Matthœi Paris Historia major ; Tiguri, 1589, p. 339.
  3. Cette lettre, écrite en allemand, est citée par Martin Zeiller, pars ii, epist. 507, p. 700, seq.