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NOUVELLES LETTRES SUR L’HISTOIRE DE FRANCE.

les Neustriens qui fuyaient en petit nombre avec le fils de leur roi[1].

Chlodowig ne fit aucune tentative pour rallier ses troupes et revenir sur Poitiers ; mais, soit par crainte de se voir couper la route du nord, soit par une bravade de jeune homme, au lieu de tendre vers Angers, il continua de suivre une direction contraire, et marcha sur Bordeaux, l’une des cinq villes dont il avait ordre de s’emparer[2]. Il arriva aux portes de cette grande cité avec une poignée d’hommes en mauvais équipage, et, à la première sommation qu’il fit au nom de son père, les portes lui furent ouvertes, fait bizarre où se révèle d’une manière frappante l’impuissance administrative de la royauté mérovingienne. Il ne se trouvait pas dans cette grande ville assez de forces militaires pour défendre le droit de souveraineté du roi Sighebert contre une bande de fuyards harassés et dépaysés. Le fils de Hilperik put librement s’y installer en maître, et occuper avec ses gens les hôtels qui appartenaient au fisc, propriétés jadis impériales, recueillies par les rois germains avec l’héritage des Césars.

Il y avait déjà près d’un mois que le jeune Chlodowig résidait à Bordeaux, prenant des airs de conquérant et affectant l’autorité d’un vice-roi, lorsque Sigulf, l’un des gardiens de la Marche des Pyrénées, s’avisa de se mettre en campagne et de lui courir sus[3]. Le mark-graf (c’était le titre germanique des gouverneurs de province frontière) fit proclamer le ban de guerre dans toute l’étendue de sa juridiction, depuis l’Adour jusqu’à la Garonne. Ce ban ordonnait sous peine d’amende la levée en masse des habitans du pays, population de chasseurs et de bûcherons presqu’aussi sauvages que les vasques de la montagne, et qui souvent s’entendaient avec eux pour piller les convois de marchandises, rançonner les

  1. Sed Basilius et Sigharius Pictavi cives, collecta multitudine, resistere voluerunt : quos de diversis partibus circumdatos oppressit, obruit, interemit, et sic Pictavos accedens sacramenta exegit. Greg. Turon., lib. IV, pag. 227.
  2. Chlodovechus verò, Chilperici filius, de Turonico ejectus, Burdegalam abiit. Greg. Turon. lib. IV, pag. 228.
  3. Denique cùm apud Burdegalensem civitatem nullo prorsùs inquietante resideret, Sigulfus quidam a parte Sigiberti se super eum objecit. Greg. Turon.,