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faudrait pas s’attendre à trouver chez lui cette manière de traiter l’histoire dont quelques-uns de nos écrivains nous ont si bien révélé le charme. Non, vous ne reverrez là ni ces grandes masses de faits groupés avec tant d’art, comme nous les montre M. Guizot ; ni cette synthèse épique, cette haute philosophie de M. Michelet ; ni ce récit vif, pittoresque, saillant, de M. Thierry ; ni cette naïveté que M. de Barante tâche d’emprunter à nos anciens chroniqueurs. M. de Raümer analyse, discute, raconte : c’est l’homme de conscience qui cherche sérieusement à s’éclairer et à éclairer ses lecteurs ; c’est le juge qui rassemble toutes les pièces d’un procès, compulse toutes les enquêtes, place d’un côté les actes d’accusation, de l’autre les actes de défense, puis résume le tout, et laisse aux auditeurs eux-mêmes à prononcer la sentence. Pour faire un ouvrage comme son Histoire des Hohenstaufen et comme l’Histoire d’Europe, qu’il publie en ce moment, M. de Raümer ne craindra pas de visiter les principales bibliothèques d’Allemagne et d’Italie, et de venir s’installer assiduement à la bibliothèque Richelieu. Il aura recours aux pièces officielles, aux manuscrits, aux documens authentiques ; heureux si, après mainte laborieuse recherche, il en vient à trouver, comme il l’a fait dernièrement, une correspondance d’Élisabeth, reine d’Angleterre, avec son ambassadeur à Paris, correspondance dont aucun historien ne s’était encore servi. Ainsi, ne redoutant pas le travail, et ne perdant pas de vue le but qu’il s’est proposé, il déroulera chaque gros in-folio que l’on pourra lui présenter, inscrira chaque date, chaque nom, chaque fait avec toutes les circonstances qui s’y rattachent, avec toutes les opinions contradictoires ; puis il s’en reviendra, riche de tant de matériaux, mettre en ordre ses documens, disposer son récit, enregistrer avec soin tout ce qui peut jeter un nouveau jour sur un évènement, tout ce qui peut réparer une erreur de chronologie, éclairer une discussion, remplir une lacune.

Assurément, l’histoire ainsi faite ne nous offre ni l’attrait ni la haute portée que lui donnent, par exemple, les idées de Herder ; mais ce n’en est pas moins une œuvre difficile, une œuvre de talent et de patience, d’autant plus méritoire, que peu d’hommes auraient le courage de s’y livrer. C’est, du reste, une chose assez remarquable que la plus grande partie des historiens d’Allemagne se sont rangés à l’école de J. de Müller, et suivent avec plus ou moins de tact, plus ou moins de savoir, la même ligne que M. de Raümer. Voilà pourquoi Menzell a dit, dans son ouvrage sur la Littérature allemande : « Nos historiens laissent encore beaucoup à désirer ; ils sont trop érudits, trop minutieux et trop peu hommes pratiques. Leurs livres sont plutôt des études que des peintures, ouvrages