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REVUE DE VOYAGES.

lieu dans cet état de choses. Devenue le centre de notre commerce dans l’Inde, et le siège des autorités, Bourbon vit sa population et ses produits s’accroître ; mais en même temps, comme à Maurice, le luxe succéda à l’ancienne simplicité, et dès lors l’hospitalité commença à n’être plus en honneur, les engagemens ne furent plus sacrés, les funestes banqueroutes vinrent ébranler les fortunes, détruire la confiance. Dans cette société si paisible naquirent les jalousies et les rivalités ; les partis à la tête desquels se trouvaient naturellement les chefs des familles influentes du pays, cherchèrent à diriger la marche du gouvernement suivant leurs intérêts ou leur manière de voir, et la division s’introduisit dans le grand conseil colonial dont ces derniers étaient membres. Cependant si ces dissensions intestines et l’accueil en général froid et hautain des habitans rendent peu agréable le séjour de Bourbon, rien ne fait encore craindre pour elle les dangers résultant de la différence des castes. Les hommes de couleur n’ayant jamais souffert des préjugés qu’elles font naître, sont doux, tranquilles, et jouissent presque tous d’une petite aisance, sous le patronage des familles blanches auxquelles ils tiennent par les liens du sang. Les noirs esclaves, traités avec assez de douceur, sont soumis, et jusqu’ici les crimes ainsi que les révoltes sont inconnus parmi eux. Le problème de l’existence des colonies sans la traite des noirs, problème si inutilement cherché depuis le commencement du siècle, a même été résolu à Bourbon, mais d’une manière qui ne peut convenir qu’à cette colonie et qui doit attendre l’épreuve du temps. Lorsque la traite fut supprimée par le gouvernement, les colons ne pouvant, à cause de la nature de leur sol, imiter ceux de l’Île de France, qui étaient parvenus à employer la charrue et les animaux, demandèrent des bras libres à la presqu’île de l’Inde. On trouva dans les établissemens français, sur la côte de Coromandel, des Hindous qui s’engagèrent, moyennant une somme assez modique par mois et le passage, à venir travailler pendant quelques années sur les habitations de Bourbon. Les premiers essais ne furent pas d’abord heureux, mais la prudence et la sagesse des autorités surmontèrent peu à peu tous les obstacles. Les émigrans devinrent l’objet d’une active sollicitude ; ils furent bien traités, payés exactement, et leur avenir fut mis à l’abri des vicissitudes, si communes dans les affaires,