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comme il est permis de croire, l’enseignement de Quintilien, les leçons de la philosophie stoïque, et peut-être embrassé pour un an ou deux le service militaire, Cornelius se fit avocat quelque temps avant Pline le Jeune. Le vigintivirat le conduisit à la questure. Questeur et chevalier, il épousa la fille d’Agricola : Titus accrut ses honneurs ; la préture lui échut sous Domitien. Une assez longue absence de Rome, dont mal à propos on a fait un exil, sépare la préture de l’historien de son consulat ; c’est dans cet intervalle qu’on peut placer ses voyages dans la Grande-Bretagne et en Germanie. Après son consulat, il soutint avec une éloquence grave l’accusation intentée par les Africains contre un de leurs proconsuls : il survécut quelque temps à Pline son ami, et mourut assez tard dans la force et l’exercice de son génie. Il y a peu d’aventures dans cette vie ; elles se passèrent toutes dans la tête et l’imagination de Tacite ; jamais écrivain, dans des jours plus tranquilles, n’a été par des pensées plus grandes et plus véhémentes.

Il était une île peu connue des Romains et dont à toute heure ils recommençaient la conquête sanglante et précaire. Agricola, beau-père de l’historien, avait fait ses premières armes en Bretagne, et depuis nommé consul, en avait reçu le gouvernement. Non-seulement il administra bien sa conquête ; mais il l’agrandit. Tacite, et ce fut son début dans le métier d’écrivain, conçut d’un coup le parti qu’il pouvait tirer de ce nom de famille mêlé aux destinées d’un peuple inconnu, et il enferma une histoire dans les proportions d’une biographie. Agricola était un héros convenable pour cette œuvre nouvelle qui jusqu’alors n’avait pas d’analogue dans la littérature de l’antiquité : il était passablement grand ; on disait sa vertu certaine ; mais son génie semblait problématique. Bonum virum facile crederes, magnum libenter ; excellent sujet d’une composition où devait figurer un bien autre héros, un peuple, les Bretons. Non, jamais l’art d’un écrivain n’a mieux triomphé. Tacite commence par de douloureux regrets sur la servitude romaine ; puis il suit Agricola en Bretagne, raconte ses premiers gestes, enfin amène les Bretons sur la scène ; ils sont le véritable personnage. Leurs mœurs, leur origine, leur culte, la nature de leur climat, les productions de leur île, les premières entreprises de Jules Cé-