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REVUE. — CHRONIQUE.

jusqu’à déclarer que M. Dupin lui-même donnerait sa voix et ses voix à M. Persil. On s’étonna que M. Dupin, qui, dans un discours à la cour de cassation, avait ouvertement combattu les doctrines de M. Persil, voulût bien consentir à se donner un pareil suppléant à la chambre. Mais on se rappela les fréquentes contradictions de son caractère, et l’on en crut M. d’Argout, parce que ses paroles n’étaient pas logiques. Credo quia absurdum, disaient les vieux chrétiens ; les bons ministériels n’ont pas de meilleures règles de conduite.

M. d’Argout (nous parlons poliment), M. d’Argout avait cependant dit la chose qui n’est pas. M. Thiers, qui l’imita, assurait qu’il la tenait de M. Persil, et dans cette trinité d’hommes de bonne foi, il serait difficile de remonter aux sources. Ce qui est certain, c’est que M. Persil, devenu très importun et très pressant, était venu déclarer aux ministres qu’il avait les cent voix dont il avait disposé l’année dernière, et que si on voulait le seconder, il emporterait la place. M. Thiers s’écriait, de son côté, qu’on ne pouvait abandonner M. Persil, et un petit parti de persiliens se forma aussitôt dans le ministère. Il se composait d’abord tout naturellement de M. Thiers, l’homme des empiètemens, le partisan de la dictature, qui conseille d’escamoter les lois et de les tourner quand on ne peut pas les violer, le plus dangereux de toute cette cohue d’hommes d’état, sortis de terre le quatrième jour des trois glorieuses journées, qui se multiplie, qui se mêle à tout, qui est partout, et dont la petite voix criarde et menue fait sans cesse retentir des projets de despotisme et d’asservissement à l’oreille du pouvoir souverain. M. Guizot qu’un tempérament triste, un cerveau fatigué par l’étude, et un excès de sérieuses réflexions ont égaré et conduit, par une autre route, aux mêmes idées, se joignit à M. Thiers. M. de Rigny, en brave marin, louvoya, comme d’ordinaire, entre deux eaux et M. Barthe tint une conduite encore plus louche et plus embarrassée que celle de M. de Rigny.

La positon de M. Barthe était, il est vrai, très difficile. M. Barthe savait que la nomination de M. Persil à la vice-présidence de la chambre n’était qu’un premier pas. Il savait que ce premier pas conduirait infailliblement le digne procureur-général à la place occupée par lui, Me Barthe, au banc des ministres, tandis qu’il n’avait pas une telle catastrophe à redouter avec le compétiteur de M. Persil, M. Bérenger, que les doctrinaires n’accepteront jamais pour leur collègue, et qui ne les accepterait pas non plus pour les siens. Se voyant ainsi forcé de défendre ses chers appointemens qu’il amasse avec tant de tendresse, de combattre pro aris et focis, pour son pain quotidien, M. Barthe n’hésita plus, il vota intrépidement pour M. Bérenger, contre l’élu du ministère.

Pour le maréchal Soult, il s’est montré inflexible dans cette circonstance. M. d’Argout avait vainement pris la peine de se rendre chez le président du conseil, et de lui dire qu’il ne pouvait se dispenser d’exclure M. Bérenger, qui, dans la dernière session, présidait la chambre le jour où M. de Bricqueville fit une si violente sortie contre les campagnes du maréchal, et qui refusa obstinément de le rappeler à l’ordre. Selon M. d’Argout, M. Bérenger s’était rendu par là complice de l’insulte faite au maréchal Soult, et peu s’en fallut même, dans le zèle qui l’animait, que M. d’Argout, vieille et bonne lame très redoutée en son temps, n’offrît au vieux maréchal d’appeler encore une fois M. de Bricqueville sur le terrain pour cette affaire. Mais le maréchal se montra très peu touché de toutes ces marques de sollicitude, et déclara avec une générosité qui étonna beaucoup son collègue, et qui nous étonne un peu nous-mêmes, qu’il avait oublié cette circonstance, mais que ce qui n’était tout-à-l’heure pour lui qu’un sentiment devenait un devoir maintenant qu’il se trouvait