Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/143

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
139
POÈTES ET ROMANCIERS FRANÇAIS.

phaël, coloriste comme Rubens, sur cette toile qui s’anime, au milieu de ces groupes qui respirent le mouvement et la vie, jeter quelques-unes de ces figures de héros, admirables fossiles de l’histoire ; revêtir ces squelettes géans de chair et de beauté, rendre à cette poitrine déserte son courage d’homme ou son cœur de femme, et, dans cette tête profonde, tabernacle de l’ame, rappeler la pensée ; puis, dérobant au ciel la flamme créatrice, souffler sur son œuvre le feu du génie, au risque d’être foudroyé par l’histoire, comme Prométhée par Jupiter : voilà ce qui s’appelle faire du drame comme Shakspeare et Schiller, comme Homère et Tasse ont fait de l’épopée, Walter Scott et Manzoni du roman.

Est-ce le programme que l’auteur de Henri iii s’est proposé ? et dirai-je qu’il l’a rempli ? J’aurais peur de paraître partial lorsque je ne veux être que juste. D’ailleurs, je n’ai pu encore lui pardonner d’avoir balafré, au moral comme au physique, le grand Henri de Guise, l’homme courageux, le héros populaire, le représentant de l’opinion libérale de son siècle, dont il a fait un ridicule conspirateur, un tyran domestique, un lâche assassin. Que quelques mémoires du temps autorisent une telle donnée, je ne le crois pas : mais peu importe. Il faut accepter les grands hommes tels que nous les lègue l’histoire, gardienne de leurs tombeaux, et ne pas se mettre contre eux légèrement du côté de la calomnie, qui s’attache à leur mémoire comme les vers à leurs cadavres.

Si M. Dumas viole parfois, sciemment ou à son insu, la vérité historique, passagère, relative, il ne lui arrive jamais de méconnaître la vérité éternelle, universelle et absolue. Il faussera bien le personnage, mais non pas l’homme ; l’ame lui échappera quelquefois, jamais le cœur. Le drame d’intérêt, le drame intérieur, voilà surtout son domaine ; c’est là son triomphe. Dans quelque époque qu’il place son sujet, à quelque fait historique qu’il le rattache, on sent toujours le cœur battre chaud et palpitant dans la poitrine de ses héros, sous le pourpoint du moyen-âge comme sous le frac moderne, à travers la collerette d’Adèle d’Hervey comme à travers la fraise de la duchesse de Guise. Peintre de passions, il pousse la logique jusqu’au crime, et la vérité jusqu’au cynisme. Tel nous le verrons dans ses autres pièces, tel nous le trouvons déjà dans