cent la vie ; Laing arrache la couronne dont le traducteur d’Ossian s’était paré. Il prouve que l’éditeur d’Ossian est un menteur, qu’Ossian lui-même est un fantôme, la harpe d’Érin un amas de vapeurs. Il traite ce pauvre Macpherson comme un faussaire qui lui aurait arraché cent livres sterling au moyen d’une lettre de change fabriquée. C’était un traitement un peu dur, selon nous ; le faussaire littéraire ne méritait pas tant de sévérité[1].
Les antiquaires seuls ont été mécontens. Macpherson les prenait pour dupes. Mais qu’importe au public de savoir si l’auteur des Poésies galliques a vécu dans le ive siècle ou dans le xixe, pourvu que ses poésies expriment des sentimens naturels, et que le sceau de l’originalité les consacre ? Dans toute l’Europe, et surtout en Allemagne, Ossian fut reçu avec enthousiasme. Quoi qu’il en soit du singulier projet que Laing se proposa, on ne peut révoquer en doute le talent avec lequel il s’en est acquitté. Son interprétation, quelquefois un peu subtile, est toujours sagace.
- ↑ Nous ne sommes point d’avis que la question relative à l’Ossian de Macpherson soit aussi oiseuse que l’auteur le prétend. Si les poésies publiées par cet Écossais avaient été réellement celles que le barde Oïsian composa dans l’île d’Érin, l’histoire aurait mille détails de mœurs à puiser dans ces ouvrages. Elle s’appuierait sur eux comme sur des documens certains ; elle y retrouverait le tableau perdu des mœurs d’une époque sauvage. Ils nous seraient aussi précieux aujourd’hui que les romans de chevalerie du moyen-âge, sans lesquels l’intelligence de ce moyen-âge nous serait impossible. Supposons au contraire que ces poésies ne soient que des romans, qu’un homme du xviiie siècle les ait inventées pour son plaisir, qu’ils n’appartiennent au xve siècle que comme l’Ivanhoe appartient au xe siècle ; on pourra les lire avec plaisir encore, mais non se fier à eux, mais non les consulter, mais non leur demander des renseignemens certains sur les passions et les idées qu’ils prétendent retracer. Les fragmens véritables des poésies bardiques de l’Irlande ont été publiés, il n’y a pas long-temps, par la société des antiquaires de Dublin : c’est un style beaucoup plus rude, plus âpre, plus concis que celui de l’Ossian mis en scène par Macpherson. C’est là que l’on reconnaît l’accent du barbare à demi païen, à demi chrétien, quelquefois héroïque, mais toujours exempt de l’emphase sentimentale des héros ossianiques. En général M. Allan Cunningham juge les hommes et leurs écrits comme il convient à un poète, auteur de ballades rustiques ; il cherche partout l’éclat, la grace, la nouveauté des formes ; et les mérites qu’il apprécie sont naturellement ceux qui se trouvent le plus en rapport avec ses qualités propres. L’Écossais Macpherson avait aussi de la facilité, de la couleur, de l’élégance dans le style ; il se servit de cette portion de talent pour tromper son siècle et l’Europe.