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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/330

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REVUE DES DEUX MONDES.

inconstante, et projetant sur l’équipage une lueur sépulcrale, qui nous donnait l’apparence d’un groupe de spectres.

Le centre de ce globe lumineux brillait d’une flamme plus ardente et plus vive, et sa circonférence s’éteignit par degrés, jusqu’à ce que, perdant sa teinte ou sa dernière nuance, elle alla se fondre d’une manière presque insensible dans l’obscurité.

Tout le monde était accouru sur le pont pour voir ce singulier phénomène, et nous l’examinions en silence, avec un sentiment de crainte dont les plus hardis eux-mêmes ne pouvaient entièrement se défendre, lorsque cette flamme mobile, descendant lentement jusqu’à nous, vint se poser sur la barre contre laquelle s’était appuyé le contre-maître. Dans ce moment de stupeur je ne sais quel objet froid, vivant et velu, descend le long du mât de misaine, et vient saisir mon cou… Je ne vois rien, mais la lumière sépulcrale brille toujours. Une invincible terreur s’empare de moi, je roule sur le pont, et peu s’en faut que je n’aille m’ensevelir dans les abîmes de l’océan.

— Que Dieu ait pitié de moi, m’écriai-je ; qu’est-ce que cela ?

À ce cri, les matelots accoururent vers moi, et les bras glacés cessèrent leur étreinte.

— Eh ! dit le lieutenant, c’est Jacquot ; c’est ce grand diable de singe que le capitaine aime tant ! Voyez s’il n’a pas l’air du génie de cette flamme nébuleuse.

Je respirai alors ; et, levant les yeux, je vis le singe qui, remonté au haut du mât, faisait mille gestes, mille grimaces qui lui donnaient, comme le disait le lieutenant, l’aspect de quelque génie malfaisant et fantastique.

Cependant une masse majestueuse et grisâtre apportée par la brise s’empara du globe lumineux, l’emporta avec elle, et le força d’abandonner nos agrès. Je le suivis des yeux, plongeant dans l’obscurité mes regards perçans. Je le vis flottant dans les airs avec la même agitation, le même chatoiement et la même fixité mobile qu’il éprouvait quand il s’était arrêté à la pointe de notre mât. Une pensée subite frappe alors mon esprit. Je regarde avec plus de discernement, et la forme de cette masse nuageuse que nous avions aperçue dissipa bientôt tout soupçon.