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un effroyable concert au milieu de la nuit profonde. Le schooner, dont la sainte-barbe venait de sauter, parut alors tout en flammes ; ses mâts semblaient d’immenses aiguilles de feu ; çà et là un cri de désespoir, le cri de la mort, se confondait avec le murmure des vagues ; la flamme pétillante, ardente, faisait paraître la mer en ébullition : tel était le triste et douloureux spectacle que nous offrait le navire américain.

Peu à peu l’activité des flammes diminua, la mer engloutit cette carcasse enflammée, et le silence, la solitude, régnèrent de nouveau.

— Lieutenant, qu’est-ce que j’aperçois sur le canon qui a fait un si beau coup ?

— Un cadavre tout sanglant encore ! celui du contre-maître ! La dernière bordée du schooner l’a coupé en deux ; mais il s’est joliment vengé, Tom !

La nuit bientôt reprit sa teinte obscure et noire, la lune se cacha derrière d’épais nuages, et le temps devint orageux. Nous continuâmes notre course, encore frappés de cette scène sanglante et solennelle, où un cadavre sans vie avait laissé pour sa vengeance ce drame de mort et de destruction.

— Quartier-maître, voyez-vous cette lame qui approche ?

— Mille tonnerres ! oui, je la vois !

— Évitez-la. Gare à la poupe !

À l’instant la montagne immense et roulante, se précipitant sur la poupe, pénétra dans le navire, entraînant, renversant à la fois et pêle-mêle, hommes, animaux, rames, agrès, câbles et cages à poules. La Torche, inondée, parut près de sombrer sur sa quille, le pont se couvrit d’une blanche écume, et la vague, en se retirant, laissa nos basses voiles et nos manœuvres dégouttantes de toutes parts.

J’avais été renversé comme les autres au milieu de ce chaos ; je me relevai, l’œil enflé et douloureux d’une forte contusion que j’avais reçue en tombant.

— Diable ! Tom, vous avez l’œil admirablement poché, me dit le lieutenant Splinter.

— Merci de l’avis, lieutenant.

Cependant la chaloupe et les canots, enlevés par le coup de mer,