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ditions du gouvernement représentatif, et on ne saurait le blâmer sans condamner tous ses collègues.

Toutefois, comme la présentation du budget avait fait éclater dans la chambre de violens murmures, et que des groupes menaçans s’y étaient formés après la lecture du curieux exposé de motifs qui le précède, un long sauve qui peut ! fut prononcé sur le banc des ministres. Ce fut une véritable bataille de Waterloo, où faillit rester le vainqueur de Toulouse, abandonné et trahi par tous ses collègues. C’était un triste spectacle que de voir le vieux maréchal succombant sous le poids de son budget, la jambe traînante, et s’efforçant d’échapper à tous les nombreux ennemis que lui suscitaient les autres ministres. Pendant vingt-quatre heures, il a été complètement abandonné, abandonné dans le conseil surtout, où la pensée qui domine s’était déjà arrangée avec un autre maréchal dont elle n’espère pas moins de complaisance que de M. Soult ; car la première condition pour devenir ministre aujourd’hui, c’est de consentir à ne pas l’être, et à plier humblement, chrétiennement, sous la volonté du maître absolu.

On vit alors M. Thiers, M. Humann et M. Guizot, tendre une main amicale à des hommes pour lesquels ils n’avaient depuis long-temps que des paroles d’animosité et des gestes de dédain. On se plaint depuis long-temps des vues étroites de la majorité, qui n’admet que des députés ministériels dans les commissions même les plus insignifiantes ; cette fois, on a pu voir M. Guizot demander l’admission de M. Salverte dans la commission du budget, et M. Humann exiger l’introduction de M. Odilon Barrot. Il n’est pas un membre de l’opposition qui n’ait été porté, poussé, choisi par quelque ministre. M. Thiers, surtout, était d’une activité surprenante ; il ne concevait pas comment la chambre ne tonnait pas contre un ministre qui avait dépassé ses crédits avec une pareille audace ; il ne cessait de se lamenter, de se plaindre des embarras où se trouvait embourbé cet excellent et parfait ministère, qui eût si bien et si long-temps marché sans le vieux maréchal, ce mangeur, ce prodigue, d’où venait tout le mal. De leur côté, les jeunes doctrinaires de la chambre étaient en campagne, et parcouraient les rangs de la gauche pour y trouver des alliés, c’est-à-dire des dupes. Ils consentaient à abandonner non pas seulement le maréchal Soult, mais aussi M. Thiers, M. d’Argout, M. Humann, tout ce qui n’est pas eux enfin ; car les doctrinaires ne se démentent jamais. En fait d’égoïsme froid et cynique, M. Thiers lui-même pourrait apprendre à leur école.

Au château, une négociation très active, poussée par M. Thiers, et, dit-on, M. d’Argout, portait le maréchal Gérard à la présidence du conseil et au ministère de la guerre. Cette combinaison devait entraîner