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POÈTES ALLEMANDS.

mais lentement dépouillé, et mis à nu et endormi. Sans compter mille distractions et des fantaisies de secte sans nombre qui lui cachaient sa détresse. La poésie, d’ailleurs, n’était pas un luxe dont on pût se passer. Elle se donnait pour la religion qu’elle avait remplacée ; et elle imitait en effet à s’y méprendre son air et ses rigueurs. L’église était tombée, mais on avait gardé l’hymne. Novalis chantait dans la nuit ; et le moyen alors de croire à une ruine quand la voix qui l’habitait était encore si mélodieuse et si jeune ? C’est ainsi que, remplaçant toujours la foi par la poésie, et l’idée par l’image, et le dieu par son ombre, l’Allemagne a pu sans secousse endormir son passé sur ses genoux et l’emmailloter dans la mort, ce vieil enfant, sans qu’il se réveillât. Toute la question est de savoir, lorsqu’elle viendra à reconnaître que ce qu’elle adore est cendre de ce qu’elle adorait, si ce sera un cri de détresse, ou si plutôt elle ne se sera pas ainsi mieux que nous apprivoisée au néant.

Voyez déjà comme elle s’y prend ! Au fond, ses deux religions, le protestantisme et le catholicisme, s’entr’aident l’une l’autre à mieux périr. Elles se prêtent l’une l’autre leurs doutes, leur foi, leurs églises, leurs berceaux, leurs tombeaux. Sous le même toit elles naissent, elles vivent, elles prient, elles meurent. Elles mêlent ensemble leurs poisons dans le même calice. Elles ont même croix, même linceul. Et quand leur haine par hasard se rallume, elles disent à la raison humaine avant d’en venir aux mains, le mot des gladiateurs à l’empereur : Ceux qui vont mourir te saluent !


Ce caractère de conciliation dans la mort n’a jamais mieux paru que dans Goëthe. Voilà un homme qui enferme en lui toutes les incertitudes de l’homme moderne et qui n’en laisse rien paraître. Il n’attaque rien, il ne défend rien. Il traite toutes les croyances et tous les enthousiasmes comme ces momies qu’Aristote recevait d’Asie, et qu’il classait dans son académie. Lui aussi, dans son église, il classe tous les cultes et met tous ces morts face à face l’un de l’autre. L’infinité du doute se cache en lui sous l’infinité de la foi. C’est en apparence tout le contraire de Voltaire, le même mot au fond. Il n’exclut rien, lui. Il admet jusqu’au moindre fantôme ; et cette universalité de croyances est en même temps l’universalité du