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POÈTES ALLEMANDS.

tard il aiguisera contre eux. Depuis ce temps, l’aiguillon croît et perce chaque année. Dans ses voyages du Hartz, d’Italie, et de la mer du Nord, il s’en va chercher et rapporte à la maison des impressions de fleurs, de bois, d’amour dont il garde l’épine, et qui se convertissent chez lui en un miel de colère et de haine. Nés dans des climats différens, ces chants en gardent peu ou point le caractère. C’est une espérance, un désir, rencontrés par hasard, qu’il flétrit en passant, et qui perdent ainsi leur date et leur origine, comme une feuille tombée perd son odeur et sa couleur. Il y a là de ces poèmes nés dans la pure Toscane, sous le soleil de Lucques et de Florence, qui n’ont rien gardé de l’odeur des orangers ni des myrtes, et ne sentent que l’absinthe. On dirait qu’un souffle satanique éteint la différence et l’enchantement des climats et ne laisse voir au fond que le même mot et le même dard partout. Le poète ne rencontre pas sur son chemin une voix de fille, une fleur sur sa tige, sans lui adresser un madrigal méphistophélique. Les étoiles ont beau se cacher toutes prudes sous leurs voiles ; il finit toujours, comme dans les Nuées d’Aristophane, par quelque ironique question qui leur fait pleurer des larmes d’or. Quand il approche de la mer du Nord, c’est le seul endroit où son ironie prenne quelque chose des lieux. Elle devient comme eux ample et colossale ; des nuages de la Baltique, il fait un linceul pour rouler et berner les dieux vivans et les dieux morts, le présent et le passé, et vous quitte là sur la grève avec un éclat de rire : si bien que lorsque vous fermez ce livre, qui semblait si frivole, toute la nature est déjà vide, et le ciel désert, et le cœur aussi, et tous les fruits du grand arbre de vie ont été mordus l’un après l’autre d’un noir aiguillon ; et le ver les ronge.

Cruel poète que vous êtes ! Trouvez-vous donc que la ruine fait son chemin trop lentement ! Quand vous frappez si fort au cœur les arbres de cette forêt enchantée de l’Allemagne, n’entendez-vous pas les branches qui soupirent, et les feuilles qui tremblent, et les fleurs qui vous disent : Méchant ! Ce soir, si vous aviez attendu, nous nous serions fanées toutes seules, sans vous.

Ô Heine ! si vous aimez quelque chose, je vous demande à cause de moi merci pour ce qui vous reste encore de fleurs à sécher et de sources à tarir. Que vous ont fait, dites-moi, ces pauvres villes