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mérite le plus d’attention, est de savoir ce qu’était au juste l’amour platonique au moyen âge. M. Rossetti a fait sur cette matière neuf chapitres, qui remplissent près de deux cents pages. Il n’y règne pas tout l’ordre désirable, mais rien de ce qui s’y trouve n’est indifférent, et l’on doit sentir à quel point l’association de ce défaut et de cette qualité rend difficile la tâche de celui qui analyse.

Les premières poésies italiennes furent composées à l’instar de celles des Provençaux ; or, je ferai, au sujet des vers de ces derniers, une observation importante, omise par M. Rossetti, et qui cependant tourne tout à l’avantage de son système. Le sujet favori des troubadours de Provence est l’amour, mais l’amour naturel, la galanterie, et fort souvent même le libertinage. C’est en vain que j’ai cherché, dans les vers amoureux de ces poètes, un seul passage qui indiquât cet amour chaste, religieux, philosophique, platonique enfin, qui est le caractère distinctif de celui dont les poètes de l’école de Dante ont fait le sujet constant de leurs écrits. Dans l’ouvrage que j’ai en portefeuille sur la poésie dantesque, j’ai consigné et appuyé par des preuves cette importante distinction. Ce n’est vraiment qu’avec Dante qu’est apparu ce personnage féminin entouré des attributs de la divinité, dont Béatrice est le type le plus majestueux et le plus brillant. Ce n’est que depuis Dante que l’on a eu l’idée de cet amour mystique dont sa Béatrice a été constamment l’objet. Enfin, en comparant les poésies provençales avec celles des Italiens dantesques, j’y ai trouvé encore une différence caractéristique : c’est que la jalousie, qui joue un si grand rôle dans les compositions des troubadours, n’est jamais exprimée dans les vers amoureux de Dante et de Pétrarque. Évidemment un amour sans soupçon, sans inquiétude, ne peut être inspiré que par un être tellement supérieur à notre nature que l’on doit le croire imaginaire ou divin, sans courir la chance de passer pour avoir une idée défavorable du beau sexe. J’étais donc arrivé, par la réflexion et par mes études, au même point marqué par quelques-uns de ceux qui ont étudié Dante avant nous, mais sans comprendre parfaitement le sens des allégories de détail mises en œuvre par ce poète, et je pensais que le but, que le sens final de tous ses écrits, dont j’excepte la Monarchie, était non pas théologique, comme on l’a cru, mais simplement philosophique.