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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/427

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LITTÉRATURE FRANÇAISE.

qui, sous un titre trop modeste, contiendront le tableau, disons mieux, l’épopée de ce temps, la société ancienne et la société nouvelle, l’Europe et l’Amérique, deux siècles et deux mondes.

Oui, messieurs, le champ est immense, et pour s’y reconnaître, il faut d’abord en faire le tour, en distribuer les diverses portions, en classer les divers produits.

Il faut les classer suivant leurs analogies véritables, et non d’après des rapprochemens arbitraires et forcés. Par là seulement on peut élever la littérature à la méthode et à l’ordre de la science. On doit donc grouper ensemble tous les monumens qui appartiennent à une même famille naturelle, qui font partie d’un même tout, qui sont les effets d’une même cause, les résultats d’un même mouvement de l’esprit ou de la société.

Après avoir classé de la sorte les phénomènes littéraires, n’oublions pas qu’ils se manifestent dans le temps. Chacune de ces familles de monumens répond à un âge de l’esprit humain ; chacun de ces âges porte sa littérature, comme chaque époque géologique est marquée par l’apparition de certaines espèces d’êtres organisés appartenant à un même système. Et comme ces époques successives de l’histoire du globe sont séparées par de grandes révolutions, de grands cataclysmes, par des mers qui se creusent, par des montagnes qui s’élèvent, par d’immenses bouleversemens, ainsi les époques littéraires sont séparées les unes des autres par de grandes crises sociales ou de grandes convulsions religieuses, par l’avènement d’un peuple ou la disparition d’un empire ; et l’on peut aussi retrouver les fragiles empreintes que les âges de la pensée humaine ont laissées aux couches de ruines sous lesquelles ils ont péri.

La double invasion du christianisme et des barbares dans les Gaules, la chevalerie et les croisades, les guerres religieuses et la fronde, la monarchie européenne de Louis xiv et la monarchie européenne de Voltaire, enfin la révolution, telles sont les principales vicissitudes de la société française, entre lesquelles se placent naturellement les diverses phases de notre littérature.

Remarquons cependant, messieurs, une différence essentielle, qui distingue les âges de la nature des âges de la pensée. Les premiers se succèdent sans que les plus anciens aient aucune action