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arrive ainsi à l’indifférence de l’esprit et à l’insensibilité du cœur, c’est-à-dire à la mort de tous deux.

Cette disposition serait particulièrement funeste à l’objet de nos études ; en effet, nous n’avons pas seulement à expliquer la formation des monumens littéraires, comme faits historiques, mais encore il nous faut apprécier leur valeur comme ouvrages d’art, il nous faut les déclarer beaux ou laids, bons ou mauvais, les absoudre ou les condamner.

La critique et l’enthousiasme sont deux conditions indispensables des fortes études littéraires. On devrait nous plaindre, messieurs, si nous laissions accabler par le poids de nos recherches ce judicieux discernement que le faux n’éblouit point, et à qui le vrai n’échappe jamais. Malheur aussi à l’homme qui, vivant dans le commerce habituel des monumens de l’art, ne se sentirait pas quelquefois ému en leur présence. Critique et enthousiasme, sagacité subtile, admiration passionnée, lumière et flamme, éclairez, échauffez toujours celui qui ose prétendre à être le juge de l’art et le prêtre du beau !

Mais qui fixera la mesure dans laquelle ces deux facultés doivent s’exercer ? C’est une autre faculté qu’on a peine à définir, et qu’on ne saurait nier, faculté mystérieuse et toute française, le goût.

Le goût est dans l’art ce qu’est le tact dans les relations habituelles de la vie, ce qu’est le coup d’œil dans les affaires ; c’est un composé de sentiment juste et fin, de jugement rapide et sûr ; le goût, c’est la conscience délicate du beau.

On ne peut pas nier cette conscience plus que l’autre, elle se sent de même et ne se démontre pas davantage. Nous nous contenterons de dire d’elle ce que Rousseau disait de la conscience morale : « Conscience, conscience, instinct divin, immortelle et céleste voix… et d’ajouter avec lui : La conscience est timide, elle aime la retraite et la paix ; le monde et le bruit l’épouvantent, les préjugés dont on la fait naître sont ses plus cruels ennemis. » Oui, messieurs, il y a en nous une faculté qui perçoit le beau, faillible comme toutes nos facultés, mais aussi réelle qu’aucune autre. Elle nous trompe, dit-on : nos sens nous abusent bien ! Hélas ! les hommes ne se sont-ils jamais trompé sur le devoir et la vertu ? Est-ce à dire qu’il n’y a ni devoir ni vertu, ni beauté ? Oh ! non, cela n’est