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DE L’ALLEMAGNE DEPUIS LUTHER.

cette fièvre, cette tension extrême, durèrent pendant tout le moyen-âge, et nous autres modernes nous en ressentons encore souvent de la douleur et de la faiblesse dans tous les membres. Si quelqu’un de nous est déjà guéri, il ne peut cependant échapper à l’atmosphère d’hôpital qui l’entoure, et il se trouve malheureux comme un homme bien portant parmi des malades. Un jour, quand l’humanité sera pleinement revenue à la santé, quand la paix aura été conclue entre le corps et l’ame, et qu’ils reparaîtront dans leur harmonie primitive, alors la querelle factice que le christianisme a fait naître paraîtra à peine compréhensible. Les générations plus belles et plus heureuses, nées de libres embrassemens, qui s’élèveront florissantes au sein d’une religion de plaisir, souriront douloureusement en songeant à leurs pauvres ancêtres, dont la vie s’est passée dans la triste abstinence de toutes les joies de cette belle terre, et qui ont blêmi jusqu’à la condition de spectres, par la flétrissure mortelle qu’ils ont appliquée aux chaudes et brillantes émotions des sens ! Oui, je le dis avec certitude, nos descendans seront plus beaux et plus heureux que nous ; car je crois au progrès, et je tiens Dieu pour un être clément qui a destiné l’humanité au bonheur. En parlant ainsi, je crois l’honorer plus que ces gens qui pensent que l’homme est né pour souffrir. Déjà, sur cette terre, je voudrais voir cette félicité s’établir par les fruits des institutions politiques et industrielles fondées sur la liberté, ce qui, selon la pensée des ames dévotes, n’aura lieu qu’au ciel, après le jugement dernier. Ce sont peut-être là, des deux parts, de folles espérances, et n’y a-t-il à espérer de résurrection pour l’humanité ni dans le sens moral et politique ni dans le sens catholique et chrétien ? L’humanité est peut-être destinée à d’éternelles misères, condamnée à être foulée aux pieds par les despotes, exploitée par leurs suppôts, et bafouée par leurs laquais. Hélas ! s’il en était ainsi, ce serait un devoir pour ceux-là même qui regardent le catholicisme comme une erreur que de le maintenir ; qu’ils parcourent alors l’Europe, les pieds nus et sous des capuchons de moines, qu’ils prêchent le néant et la renonciation à tous les biens terrestres, qu’ils montrent aux hommes enchaînés et avilis la consolante image du crucifix, et qu’ils leur promettent après leur mort toutes les joies du ciel.

C’est peut-être parce que les grands de ce monde, sûrs de leur