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DE L’ALLEMAGNE DEPUIS LUTHER.

battre sérieusement et chastement comme en Allemagne, on soutint la guerre par des finesses et des plaisanteries, et à la place des disputes théologiques du nord, ici on composa de joyeuses satires. L’objet de ces satires était ordinairement de montrer la contradiction dans laquelle tombe l’homme quand il veut être tout esprit, et ce fut le bon temps des belles histoires de tous ces pieux personnages qui succombèrent involontairement sous leurs appétits animaux, et voulurent conserver l’apparence de la sainteté en se livrant à toutes les jouissances terrestres. La reine de Navarre avait déjà longuement traité ce sujet dans ses nouvelles. Les rapports des moines avec les femmes forment son thème ordinaire. L’œuvre la plus malicieuse de toute cette polémique gaillarde est sans contredit le Tartufe de Molière ; car cette comédie n’est pas seulement dirigée contre le jésuitisme de son temps, mais contre le catholicisme lui-même, je dis plus contre l’idée du christianisme, contre le spiritualisme. L’effroi que cause à Tartufe le sein nu de Dorine, les paroles qu’il dit à Elmire :

Le ciel défend, de vrai, certains contentemens,
Mais on trouve avec lui des accommodemens.

toutes ces choses ne tendent pas seulement à persifler l’hypocrisie ordinaire, mais aussi le mensonge universel qui dérive nécessairement de l’impossibilité d’accomplir l’idée spiritualiste, et encore tout le système de concessions que le spiritualisme est obligé de faire au sensualisme. Vraiment les jansénistes avaient bien plus de motifs que n’en avaient les jésuites de se sentir blessés par la représentation du Tartufe, et Molière serait aujourd’hui aussi insupportable aux méthodistes qu’il l’était aux dévots catholiques de son temps. C’est là ce qui fait Molière si grand, c’est qu’il est, comme Aristophane, comme Cervantes, un poète qui n’a pas seulement bafoué les travers contemporains, c’est que ses railleries sublimes tombent sur les éternelles, sur les indestructibles faiblesses de l’humanité. Voltaire, qui s’attaque toujours aux choses présentes, à son temps, reste, sous ce rapport, bien au-dessous de Molière.

Ce persiflage auquel s’est si bien livré Voltaire a rempli sa mis-