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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/508

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REVUE DES DEUX MONDES.

homme d’action ? Les purs esprits ne savent pas agir. Ne lisons-nous pas, dans le traité des spectres de Jung Stilling, que les esprits peuvent bien prendre la forme et l’apparence des créatures humaines, qu’ils peuvent marcher, courir, danser comme les vivans, mais qu’ils ne sauraient faire rien de matériel, ni déranger le moindre meuble de sa place.

Gloire à Luther ! honneur éternel à cet homme illustre, à qui nous devons le salut de nos biens les plus chers, et dont les bienfaits nous font encore vivre à cette heure ! Il nous appartient bien peu de nous plaindre des étroites limites de ses vues. Le nain qui est monté sur les épaules d’un géant, peut sans doute voir plus loin que celui-ci, surtout quand il s’avise de prendre des lunettes ; mais de cette haute position, il nous manque le sentiment élevé, le cœur du géant que nous ne pouvons pas nous approprier. Il nous convient encore moins de laisser tomber une sentence rigoureuse sur ses fautes ; ses fautes nous ont été plus utiles que les vertus de milliers d’autres. La finesse d’Érasme et la mansuétude de Mélanchton ne nous eussent jamais fait faire autant de progrès que la brutalité de frère Martin. Oui, les erreurs de son début elles-mêmes, que j’ai signalées, ont produit des fruits précieux, des fruits que l’humanité tout entière savoure aujourd’hui. Du jour de la diète où Luther nia l’autorité du pape et déclara ouvertement qu’il fallait réfuter ses doctrines par des motifs tirés de la raison ou par des passages des saintes Écritures, de ce jour commença en Allemagne une ère nouvelle. La chaîne par laquelle saint Boniface attacha l’église allemande au siège pontifical de Rome, fut limée et rompue. Cette église, qui faisait partie intégrante de la grande hiérarchie, devint une démocratie religieuse. La religion elle-même devint tout autre. Au lieu du spiritualisme indien gnostique, du boudhisme de l’Occident, qui s’était changé en christianisme romain-catholique-apostolique, naquit le spiritualisme judaïque et déiste qui reçoit sous le nom de christianisme évangélique un développement conforme aux temps et aux lieux. Cette dernière croyance n’est pas étrange comme ce gnosticisme indien, elle peut être plus aisément mise en pratique, elle laisse à la chair ses droits naturels ; la religion redevient une vérité, le prêtre un homme qui accomplit ce que Dieu lui a commandé, en prenant une