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DE L’ALLEMAGNE DEPUIS LUTHER.

Les écrits originaux de Luther n’ont pas moins contribué à fixer le langage allemand. Ils pénétrèrent profondément dans les esprits par la vivacité et la passion de sa polémique. Le ton qui y règne n’est pas toujours très délicat ; mais on ne fait pas non plus les révolutions religieuses à la fleur d’orange. Pour fendre des souches grossières, il fallait quelquefois prendre un coin grossier. Dans la Bible, le langage de Luther conserve toujours une certaine dignité par respect pour la présence de l’Esprit divin. Dans ses écrits polémiques, il s’abandonne au contraire à une rudesse plébéienne qui est encore aussi repoussante que grandiose. Ses expressions et ses métaphores ressemblent assez à ces gigantesques images de pierre qu’on trouve dans les temples égyptiens ou hindous, et dont la laideur et les couleurs bizarres nous attirent et nous repoussent en même temps. Au milieu de ce style baroque et rocailleux, le hardi moine apparaît quelquefois comme un Danton religieux, comme un prédicateur de la Montagne qui, debout à sa cime, fait rouler sur ses adversaires ses paroles écrasantes comme des quartiers de rocher.

Ce qui est plus curieux et plus significatif que ces écrits en prose, ce sont les poésies de Luther, ces chansons qui lui ont échappé dans le combat et dans la nécessité. On dirait une fleur qui a poussé entre les pierres, un rayon de la lune qui éclaire une mer irritée. Luther aimait la musique, il a même écrit un traité sur cet art, aussi ses chansons sont-elles très mélodieuses. Sous ce rapport, il a aussi mérité son surnom de cygne d’Eisleben. Mais il n’était rien moins qu’un doux cygne dans certains chants où il ranime le courage des siens, et s’exalte lui-même jusqu’à la plus sauvage ardeur. Le chant avec lequel il entra à Worms, suivi de ses compagnons, était un véritable chant de guerre. La vieille cathédrale trembla à ces sons nouveaux, et les corbeaux furent effrayés dans leurs nids obscurs, à la cime des tours. Cet hymne, la Marseillaise de la réforme, a conservé jusqu’à ce jour sa puissance énergique, et peut-être entonnerons-nous bientôt dans des combats semblables ces vieilles paroles retentissantes et bardées de fer :

Notre Dieu est une forteresse,
Une épée et une bonne armure ;