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FANTASIO.

que je me sacrifie. Veux-tu que j’aille dire à mon père d’oublier sa parole, et de rayer d’un trait de plume son nom respectable sur un contrat qui fait des milliers d’heureux ? Qu’importe qu’il fasse une malheureuse ? Je laisserai mon bon père être un bon roi.

LA GOUVERNANTE.

Hi ! hi ! (Elle pleure.)

ELSBETH.

Ne pleure pas sur moi, ma bonne ; tu me ferais peut-être pleurer moi-même, et il ne faut pas qu’une royale fiancée ait les yeux rouges. Ne t’afflige pas de tout cela. Après tout, je serai une reine ; c’est peut-être amusant ; je prendrai peut-être goût à mes parures, que sais-je ? à mes carrosses, à ma nouvelle cour ; heureusement qu’il y a pour une princesse autre chose dans un mariage qu’un mari. Je trouverai peut-être le bonheur au fond de ma corbeille de noces.

LA GOUVERNANTE.

Vous êtes un vrai agneau pascal.

ELSBETH.

Tiens, ma chère, commençons toujours par en rire, quitte à en pleurer quand il en sera temps. On dit que le prince de Mantoue est la plus ridicule chose du monde.

LA GOUVERNANTE.

Si Saint-Jean était là !

ELSBETH.

Ah ! Saint-Jean, Saint-Jean !

LA GOUVERNANTE.

Vous l’aimiez beaucoup, mon enfant ?

ELSBETH.

Cela est singulier ; son esprit m’attachait à lui avec des fils imperceptibles qui semblaient venir de mon cœur ; sa perpétuelle moquerie de mes idées romanesques me plaisait à l’excès, tandis que je ne puis supporter qu’avec peine bien des gens qui abondent dans mon sens ; je ne sais ce qu’il y avait autour de lui, dans ses yeux, dans ses gestes, dans la manière dont il prenait son tabac. C’était un homme bizarre ; tandis qu’il me parlait, il me passait devant les yeux des tableaux délicieux ; sa parole donnait la vie, comme par enchantement, aux choses les plus étranges.