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soleil de Portici ou de Velletri, qui prononcent la vieille langue souabe avec le doux accent de la toscane, ne sont pas non plus les filles des Huns et des Saxons. Tout ce que les invasions germaines ont enlevé à l’Italie, se retrouve dans cette douce et belle ville de Vienne. Les jeunes filles que les soldats impériaux ont arrachées aux plus nobles maisons, les familles illustres qu’ils ont gardées en otages, les divins chanteurs qu’ils ont liés à la queue de leurs chevaux, et traînés dans le nord pour se distraire dans leurs orgies, les statues, les peintures, tout est là ; l’Allemagne n’a rien eu de ce butin, Vienne a tout pris, tout conservé ; on dirait qu’on lui a apporté aussi le ciel sans nuages, l’air de fête et de joie, et les douces langueurs des molles latitudes méridionales. Ne cherchez plus les jeunes sénateurs de Venise et les nobles filles des doges sur les eaux dormantes des lagunes, dans l’obscurité des gondoles, ou sous les arceaux des longues galeries procuratives ; les Montecchi et les Capuletti, les Foscari et les Doria, les Grimani, les Tiepolo, sont dans les salons de Vienne ; les femmes spirituelles de Milan sont à Vienne aussi ; les savans et les seigneurs de Padoue, les ducs de Mantoue, les princes de Vérone, les divins musiciens de Crémone, les bouffons de Bergame, tout cela est à Vienne. Là est l’Italie entière, mais l’Italie riche, grasse et bien nourrie, sans marais pontins qui la dévorent, sans Vésuve qui la brûle, l’Italie sans Allemands qui l’oppriment et la dépouillent. Là vous trouvez cette élégance, ce goût des arts et des plaisirs, cette sûreté de commerce, cette facilité de vivre que la pauvre Italie n’a plus depuis long-temps, une noblesse sans morgue, douce et bonne enfant, parce que rien de ce qu’elle a ne lui est contesté, et un mélange de sang, de mœurs et de races, qui donne une merveilleuse originalité à cette société unique au monde. On y voit des Polonaises de la Galicie, fines, légères et moqueuses comme des Parisiennes, de grands seigneurs hongrois, glorieux comme des Gascons et naïfs comme des Suisses, de grandes dames autrichiennes, nées en Italie, élevées en France, qui savent tout Racine, tout Alfieri, tout Shakspeare, et qui pourraient à peine lire Schiller dans leur langue maternelle. Là les affaires se font en latin, les plaisirs en français, et les amours dans la langue de Tasse et de Pétrarque. Quant aux Allemands, j’ai bien ouï dire qu’il s’en trouve quelques-