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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/697

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DESTINÉES DE LA POÉSIE.

ses revêtemens incommensurables, où trois morceaux de granit forment cent quatre-vingts pieds de développement, et près de quatre mille pieds de surface, avec les larges embouchures de ses voûtes souterraines où l’eau de la rivière s’engouffrait en bondissant, où le vent jetait avec l’eau des murmures semblables aux volées lointaines des grandes cloches de nos cathédrales. Sur cette immense plate-forme, l’extrémité des grands temples se montrait à nous, détachée de l’horizon bleu et rosé, en couleur d’or ; quelques-uns de ces monumens déserts semblaient intacts et sortis d’hier des mains de l’ouvrier ; d’autres ne présentaient plus que des restes encore debout, des colonnes isolées, des pans de murailles inclinés, et des frontons démantelés ; l’œil se perdait dans les avenues étincelantes des colonnades de ces divers temples, et l’horizon trop élevé nous empêchait de voir où finissait ce peuple de pierre. Les trois colonnes gigantesques du grand temple, portant encore majestueusement leur riche et colossal entablement, dominaient toute cette scène et se perdaient dans le ciel bleu du désert, comme un autel aérien pour les sacrifices des géans.

Nous ne nous arrêtâmes que quelques minutes, pour reconnaître seulement ce que nous venions visiter à travers tant de périls et tant de distances ; et sûrs enfin de posséder pour le lendemain ce spectacle que les rêves mêmes ne pourraient nous rendre, nous nous remîmes en marche. Le jour baissait, il fallait trouver un asile, ou sous la tente, ou sous quelque voûte de ces ruines, pour passer la nuit et nous reposer d’une marche de quatorze heures. Nous laissâmes à gauche la montagne de ruines, et une vaste plage toute blanche de débris ; et traversant quelques champs de gazon brouté par les chèvres et les chameaux, nous nous dirigeâmes vers une fumée qui s’élevait, à quelque cent pas de nous, d’un groupe de ruines entremêlées de masures arabes. Le sol était inégal et montueux, et retentissait sous les fers de nos chevaux, comme si les souterrains que nous foulions allaient s’entr’ouvrir sous leurs pas. Nous arrivâmes à la porte d’une cabane basse et à demi cachée par des pans de marbre dégradés, et dont la porte et les étroites fenêtres, sans vitres et sans volets, étaient construites de débris de marbre et de porphyre mal collés ensemble