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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/714

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réglé, mitigé par la convenance. On suivrait à la trace cette succession illustre, depuis Mme de Maintenon, Mme de Lambert, Mme du Deffant (après qu’elle se fut réformée), Mme de Caylus et les jeunes filles qui jouaient Esther à Saint-Cyr, jusqu’à la maréchale de Luxembourg, qui paraît avoir été l’original de la maréchale d’Estouteville dans Eugène de Rothelin, jusqu’à cette marquise de Créquy qui est morte centenaire, et dont je crains bien qu’un homme d’esprit ne nous gâte un peu les Mémoires. Mme de Flahaut, qui était jeune quand le siècle mourut, en garda cette même portion d’héritage, tout en le modifiant avec goût et en l’accommodant à la nouvelle cour où elle dut vivre.

D’autres ont peint le xviiie siècle par des aspects moqueurs ou orageux, dans ses inégalités ou ses désordres. Voltaire l’a bafoué, Jean-Jacques l’a exalté et déprimé tour à tour. Diderot, dans sa Correspondance, nous le fait aimer comme un galant et brillant mélange ; Crébillon fils nous en déroule les conversations alambiquées et les licences. L’auteur d’Eugène de Rothelin nous a peint ce siècle en lui-même dans sa fleur exquise, dans son éclat idéal et harmonieux. Eugène de Rothelin est comme le roman de chevalerie du xviiie siècle, ce que Tristan le Léonais ou tel autre roman du xiiie siècle était à la chevalerie d’alors, c’est-à-dire quelque chose de poétique et de flatté, mais d’assez ressemblant. Eugène est le modèle auquel aurait dû aspirer tout homme bien né de ce temps-là, c’est un Grandisson sans fadeur et sans ennui ; il n’a pas encore atteint ce portrait un peu solennel que la maréchale lui a d’avance assigné pour le terme de ses vingt-cinq ans, ce portrait dans le goût de ceux que trace Mlle de Montpensier. Eugène, au milieu de ce monde de convenances et d’égards, a ses jalousies, ses allégresses, ses folies d’un moment. Un jour, il fut sur le point de compromettre par son humeur au jeu sa douce amie Athénaïs. — « Quoi ! m’affliger, lui dit celle-ci le lendemain ! et, ce qui est pis encore, risquer de perdre sur parole ! Eugène avoir un tort ! Je ne l’aurais pas cru. » Eugène a donc quelquefois un tort, Athénaïs a ses imprudences ; mais ils n’en sont que plus aimés. La maréchale tient dans l’action toute la partie moralisante, et elle en use avec un à-propos qui ne manque jamais son but ; Athénaïs et Eugène sont le caprice et la poésie, qui ont quelque peine à se laisser régler,