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REVUE DE VOYAGES.

les modestes habitations ; des routes commodes, et percées à grands frais les chemins de difficile abord. Puis vint la passion des entreprises hasardeuses qu’accrut encore une foule d’aventuriers chassés d’Europe par le mauvais état de leurs affaires. Les anciennes plantations furent arrachées et firent place à celles des cannes à sucre qui offraient momentanément de plus grands avantages, et qui couvrirent le sol de l’île. Une réaction inévitable eut lieu ; la baisse énorme des sucres amena la fin du rêve ; les banqueroutes se multiplièrent ; toutes les fortunes furent renversées ou ébranlées. La société ressentit naturellement les atteintes de ces ébranlemens ; les réunions devinrent rares ; et Port-Louis, séjour autrefois des plaisirs, les vit s’éloigner peu à peu. À cette cause première déjà si puissante s’en est jointe une autre qui a achevé d’apporter le trouble dans la colonie. Les Anglais, malgré vingt-trois ans de possession, n’ont pu encore faire adopter leurs mœurs, leurs préjugés, leurs passions à cette population si gaie, si vive, si passionnée, en un mot si profondément empreinte du caractère de la mère patrie. De cet éloignement réciproque sont nés, dès l’origine, de l’opposition, des reproches plus ou moins fondés d’une part ; de l’autre, des mesures arbitraires, vexatoires pour obliger les colons à quitter le pays et faire place aux Anglais qui venaient s’y établir, enfin la précipitation hostile avec laquelle furent mises en vigueur les nouvelles lois sur l’esclavage qui avaient déjà éprouvé une si vive opposition aux Indes occidentales. Les noirs esclaves de Maurice accueillirent avec joie ces mesures qui leur étaient si favorables ; mais les mulâtres, qui jouissaient d’une position heureuse, et sur qui ne pesaient pas les mêmes préjugés qui les poursuivent ailleurs, s’y montrèrent d’abord peu sensibles, et leur union avec les blancs, cimentée encore par le danger commun dont les menaçaient les esclaves, eût continué de donner de l’inquiétude aux Anglais, si une rivalité difficile à apaiser ne fût venue les tirer d’embarras. Les dames de Maurice, célèbres dans l’Inde et même en Europe par leur beauté et leurs grâces, rehaussées le plus souvent par une éducation soignée, ont toujours eu des rivales dangereuses dans les filles de couleur qui ont puisé, en partie, à la même source qu’elles le don de plaire qui les distingue entre toutes les femmes de leur caste. Long-temps tenues