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s’était arrêté à son tour, nous avait regardés un instant avec étonnement, comme pour s’interroger sur la cause de notre halte ; puis, nous ayant vus nous passer mutuellement une bouteille de kirschenwaser, et nous essuyer le front avec nos mouchoirs, il s’était dit, toujours parlant à lui-même, comme s’il répondait à une question intérieure : — « Ah ! foui, ché comprends, fous avre chaud, c’est la soleil. » — Puis il avait continué son ascension, qu’il avait achevée avec autant de calme qu’il l’avait commencée.

En arrivant à la voiture, comme un cavalier qui s’occupe de son cheval avant de penser à lui-même, il avait soigneusement plié son cher rifflard, pour lequel je commençais à avoir une vénération presqu’aussi profonde que la sienne ; il en avait abaissé symétriquement les plis les uns sur les autres ; puis, faisant glisser dessus, de toute la longueur de son lacet vert le cercle de laiton qui les maintenait, il avait solidement établi le précieux meuble dans l’angle en retour formé par la banquette de devant de la calèche, et avait conservé, en s’asseyant sur l’extrême bord du coussin dont son ami occupait le fond, toutes les marques de déférence qu’il croyait devoir simultanément à lui et à nous. On devine donc que lorsque nous descendîmes pour faire à pied, et par le chemin de traverse où ne pouvait s’engager la voiture, les trois quarts de lieue qui nous séparaient encore de l’ermitage, le parapluie fut le premier descendu, comme il avait été le premier monté, et que nous ne dûmes nous mettre en route qu’après qu’un scrupuleux examen eut convaincu son propriétaire qu’il ne lui était arrivé aucun accident. L’inventaire n’était pas dénué de raison. Pendant notre course en voiture, le ciel s’était couvert de nuages, un tonnerre lointain se faisait entendre dans la vallée, se rapprochant à chaque coup. Bientôt de larges gouttes tombèrent ; mais comme nous étions à moitié chemin à peu près, et que nous avions par conséquent aussi loin pour retourner à notre voiture que pour atteindre le but de notre excursion, nous nous élançâmes à toutes jambes vers le bouquet de bois derrière lequel nous présumions qu’était situé l’ermitage. Au bout de cinquante pas, la pluie tombait par torrent, et au bout de cent, nous n’avions plus un fil de sec sur toute notre personne ; nous ne nous arrêtâmes néanmoins que sous l’abri des arbres qui entoure l’ermitage. Alors nous nous retournâmes et