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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 2.djvu/141

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LEONE LEONI.

t’appartient, ô mon ami, je le sens, mais suis-je coupable de ce que tu es bon ? Doit-on me reprocher sérieusement de m’avilir, lorsque, seule et désespérée, je me confie au plus noble cœur qui soit sur la terre ?

— Ma bien-aimée, lui dis-je en la pressant sur mon cœur, tu réponds admirablement aux viles injures des misérables qui t’ont méconnue ; mais pourquoi me dis-tu cela ? Crois-tu avoir besoin de te justifier auprès de Bustamente du bonheur que tu lui as donné, le seul bonheur qu’il ait jamais goûté dans sa vie ? C’est à moi de me justifier si je puis, car c’est moi qui ai tort. Je sais combien ta fierté et ton désespoir m’ont résisté ; je ne devrais jamais l’oublier. Quand je prends un ton d’autorité avec toi, je suis un fou qu’il faut excuser, car la passion que j’ai pour toi trouble ma raison et dompte toutes mes forces ; pardonne-moi, Juliette, et oublie un instant de colère. Hélas ! je suis malhabile à me faire aimer ; j’ai dans le caractère une rudesse qui te déplaît ; je te blesse quand je commençais à te guérir, et souvent je détruis dans une heure l’ouvrage de bien des jours.

— Non, non, oublions cette querelle, interrompit Juliette en m’embrassant, pour un peu de mal que vous me faites, je vous en fais cent fois plus. Votre caractère est quelquefois impérieux, ma douleur est toujours cruelle ; et cependant ne croyez pas qu’elle soit incurable, votre bonté et votre amour finiront par la vaincre ; j’aurais un cœur ingrat si je n’acceptais l’espérance que vous me montrez. Nous parlerons de mariage une autre fois ; peut-être m’y ferez-vous consentir, pourtant j’avoue que je crains cette sorte de dépendance consacrée par toutes les lois et par tous les préjugés ; cela est honorable, mais cela est indissoluble.

— Encore un mot cruel, Juliette ! craignez-vous donc d’être à jamais à moi ?

— Non, non, sans doute, ne t’afflige pas, je ferai ce que tu voudras, mais laissons cela pour aujourd’hui.

— Eh bien ! accorde-moi une autre faveur à la place de celle-là ; consens à quitter Venise demain.

— De tout mon cœur ; que m’importe Venise et tout le reste ? Va, ne me crois pas quand j’exprime quelque regret du passé, c’est le dépit ou la folie qui me fait parler ainsi. Le passé ! juste