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LEONE LEONI.

poésies étrangères qu’il me traduisait avec une rapidité et une précision inconcevables ; pendant ce temps, je filais du lin dans le demi-jour de l’étable. Il faut savoir quelle est la propreté exquise des étables suisses pour comprendre que nous eussions choisi la nôtre pour salon. Elle était traversée par un rapide ruisseau d’eau de roche qui la balayait à chaque instant et qui nous réjouissait de son petit bruit ; des pigeons familiers y buvaient à nos pieds ; et, sous la petite arcade par laquelle l’eau entrait, des moineaux hardis venaient se baigner et dérober quelques graines. C’était l’endroit le plus frais dans les jours chauds quand toutes les lucarnes étaient ouvertes, et le plus chaud dans les jours froids quand les moindres fentes étaient tamponnées de paille et de bruyère. Souvent Leoni, fatigué de lire, s’y endormait sur l’herbe fraîchement coupée, et je quittais mon ouvrage pour contempler ce beau visage que la sérénité du sommeil ennoblissait encore. Durant ces journées si remplies, nous nous parlions peu, quoique presque toujours ensemble ; nous échangions quelques douces paroles, quelques douces caresses, et nous nous encouragions mutuellement à notre œuvre. Mais quand venait le soir, Leoni devenait indolent de corps et actif d’esprit ; c’étaient les heures où il était le plus aimable, et il les avait réservées aux épanchemens de notre tendresse. Doucement fatigué de sa journée, il se couchait sur la mousse à mes pieds, dans un endroit délicieux qui était auprès de la maison sur le versant de la montagne. De là nous contemplions le splendide coucher du soleil, le déclin mélancolique du jour, l’arrivée grave et solennelle de la nuit ; nous savions le moment du lever de toutes les étoiles et sur quelle cime chacune d’elles devait commencer à briller à son tour. Leoni connaissait parfaitement l’astronomie, mais Joanne possédait presque aussi bien cette science des pâtres, et il donnait aux astres d’autres noms souvent plus poétiques et plus expressifs que les nôtres. Quand Leoni s’était amusé de son pédantisme rustique, il l’envoyait jouer sur son pipeau le ranz des vaches au bas de la montagne. Ces sons aigus avaient de loin une douceur inconcevable. Leoni tombait dans une rêverie qui ressemblait à l’extase ; puis, quand la nuit était tout-à-fait venue, quand le silence de la vallée n’était plus troublé que par le cri plaintif de quelque oiseau des